Ce dimanche 7 juillet à Amiens, Zahia Hamdane (LFI/NFP) a été élue députée de la deuxième circonscription de la Somme face au Macroniste Hubert de Jenlis et Damien Toumi (RN). Si rien n’était assuré pour l’amiénoise dans l’ancienne circonscription de Barbara Pompili, Zahia Hamdane arrache une belle victoire sans reniement. Une soirée électorale au QG de la députée fraichement élue où les langues se délient entre joie, soulagement et amertume.

Zahia Hamdane (LFI/NFP) lors de son élection à la députation, à Amiens, dimanche 7 juillet 2024.

Il est 19h30 et les premiers résultats commencent à circuler dans les boucles Whatsapp et Telegram, le téléphone sonne et des échos de bureau en bureau donnent Zahia Hamdane, candidate insoumise sous la bannière du Nouveau Front Populaire dans la deuxième circonscription de la Somme, en tête. Rien d’officiel encore, le dépouillement n’est pas encore terminé mais il y a déjà, au niveau national, un petit parfum de victoire pour la gauche rassemblée.

Dans la Somme, le taux de participation a atteint près de 70% selon les circonscriptions. Et si la deuxième circonscription de la Somme fait partie de celles où on a le plus voté avec un taux de participation à 68,84%, la première circonscription -celle de François Ruffin (DVG-Picardie debout)- est celle où on a le moins voté dans le département avec un taux de participation à 65,78%. Un taux de participation similaire sur le plan national, se situant autour de 66,63% de participation pour ce second tour des élections législatives, selon le ministère de l’Intérieur.

Une quinzaine de minutes plus tard, la tendance donnant Zahia Hamdane en tête dans la 2e circonscription de la Somme, majoritairement amiénoise, se confirme. « Viens, salle Bretesque, rue la Veillère » reçoit-on quelques minutes avant l’annonce officielle. Branle-bas de combat; Amiens aurait embrassé la gauche dans ses deux circonscriptions.

Sur place, déjà plusieurs dizaines de personnes en pleine effervescence, des jeunes, des militants insoumis mais aussi des associatifs et membres de la société civile pas franchement Mélenchonistes, mais à notre grande stupeur; pas un seul représentant des partis de gauche locaux, de Picardie debout en passant par les Ecologistes ou les Communistes, n’était présent, pourtant eux aussi sous la bannière du Nouveau Front Populaire.

Zahia Hamdane, entourée de ses deux enfants, sort d’une petite pièce au fond de la salle Bretesque. Samy Olivier, son fils, fait alors le point sur une situation déjouant tous les pronostics et où Hubert de Jenlis, candidat Macroniste, avait compté sur un hypothétique report de voix pour l’emporter, en vain.

Accompagnée de Lucien Fontaine (Génération.s) Said Boudil, militant LFI d’Amiens Nord et d’Assia Nouaour, conseillère municipale d’opposition sans étiquette, Zahia Hamdane annonce son élection dans un tonnerre d’applaudissements, au son des youyous et de « Siamo tutti antifascisti » (« Nous sommes tous des antifascistes »). La joie est débordante et la surprise de taille. La circonscription historiquement de centre-droit puis Macroniste bascule à gauche, dans son cœur et dans ses tripes: « vous vous êtes battus bec et ongles, jour et nuit, c’est l’une des vôtres que vous avez élue […] une élue qui vous ressemble et qui vous représentera à l’Assemblée » lâche la députée. Quand plus loin, un militant sur place glisse non sans une once d’ironie; « La République c’est nous« , une autre lui répond avec autant de rires et de joie dans la voix « Et bien non ! La République, maintenant, c’est Zahia! »

Décidément, « le vieux »,  comme l’appellent les plus jeunes insoumis, n’est jamais très loin. Mais si Zahia Hamdane n’est pas Jean-Luc Mélenchon, elle n’a pas eu à renier ses engagements pour remporter la circonscription.

Une stratégie gagnante qui diffère de celle de François Ruffin, réélu en partie grâce au désistement de la jeune Macroniste Albane Branlant face à la candidate RN et d’après ses équipes, grâce à une prise de distance avec Jean-Luc Mélenchon entre les deux tours. Une prise de distance annoncée à quatre jours du deuxième tour dans toute la presse et qui témoigne davantage d’un calcul politicien que de réelle crainte de l’arrivée au pouvoir d’un parti extrémiste. Ruffin ne siégera pas avec les insoumis. Qu’importe. Le député Picardie debout ira jusqu’à diffuser deux tracts différents en fonction des électeurs compatibles avec les idées du clan Le Pen et un autre pour les électeurs de gauche: un antiracisme et un antifascisme à deux vitesses et à la tête du client dont on se dérobe bien volontiers quand on a foot. Le constat est amer mais la gauche plurielle et républicaine est passée bien au-dessus de ces arrangements politiciens et Zahia Hamdane, elle, a continué de faire campagne pour la grande gauche celle des campagnes et des quartiers, contre vents et marées et même… pour Ruffin.

C’est un peu plus tard dans la soirée, qu’un petit groupe du Parti Socialiste de la Somme finit par arriver, alerté par la victoire de Zahia Hamdane. On les avait vus faire campagne sur la 1re circonscription de la Somme en long, en large et en travers sur les réseaux sociaux, sans jamais prêter main forte à la candidate insoumise, pourtant arrivée en tête dès le premier tour, dans la seconde circonscription du département.

« Il n’y avait plus de bière chez Picardie debout alors on est venu »

Un des membres du PS de la Somme, venu féliciter Zahia Hamdane pour sa victoire, ce dimanche soir à son QG

Et les voilà, arrivant et affichant un sourire presque de façade, la mine tirée comme celle de François Ruffin qui s’exprimait un peu plus tôt dans la soirée, la mine d’un enfant gâté qui a cassé son jouet et qui exige que l’on court lui en acheter un autre. Il faut préciser que l’ambiance au QG des Ruffinistes n’était pas tout à fait la même; la peur et le chaos en étendard en faveur d’un néo social-démocrate qui, il y a quelques années, jurait ne plus jamais voter PS et qui, aujourd’hui, est réélu à 52,95 % (contre 61,01% en 2022) grâce aux voix des Macronistes et des quartiers populaires pris en otages face au Rassemblement national. La boucle est bouclée mais le prince de la gauche a fini par perdre de sa grandeur par excès de gourmandise.

François Ruffin (DVG/Picardie debout) à son QG de Flixecourt, entre Amiens et Abbeville, lors de sa réélection ce dimanche 7 juillet 2024.

Le gros des militants était parti, Zahia Hamdane revenue de son débat furtif sur France 3 Picardie, et la gauche locale s’affrontait déjà, les élections municipales dans toutes les têtes. A 23h00 passées, la gauche et les Ruffinistes de la première heure se sont retrouvés au Mic-Mac où les forces vives des quartiers prioritaires -associatives, syndicales et citoyennes- organisaient leur propre soirée électorale. Tout le monde était là pour fêter la victoire de la gauche rassemblée mais les bandes n’avaient pas changé, les Ruffinistes prêts à se renier pour quémander quelques voix au RN, la gauche plurielle et les alternatifs, tout le monde se toisait avec amertume mais retenu par un certain soulagement: « Quand tu gagnes grâce aux voies des quartiers populaires et que tu fais la fête dans une campagne ou tu n’es pas passé… Heureusement que les quartiers populaires sont là, qu’ils sont forts et pas rancuniers ! Un jour ça ne passera plus et vous n’aurez que vos yeux pour braire comme on dit chez vous ! » finit par lancer l’une d’elle sur les réseaux sociaux aux Ruffinistes.

« Je ne vois pas en quoi Ruffin dirige tout et tout le monde ? Tu parles des partis ? On a eu aucune consigne de sa part et je n’ai donné aucune consigne aux militants pour allez chez Ruffin ou chez Zahia. »

Logan Brague, porte parole des Ecologistes (EELV) en Picardie

La grande absence des représentants des partis de gauche locaux dans une élection où une femme de gauche issue de l’immigration est en tête à Amiens, restera gravée dans tous les esprits. Le constat est là et nous laisse exsangue. Déjà en milieu de semaine dernière, nous interrogions Logan Brague secrétaire et porte-parole des Ecologistes en Picardie sur la signification d’un tel abandon dans la deuxième circonscription de la Somme au profit de la circonscription de François Ruffin: « les militants s’impliquent comme ils veulent/peuvent sur la circonscription de leur choix. Je suis dans celle de Zahia et j’irai leur donner un coup de main demain soir, nous répondait-il entre les deux tours. Mon emploi du temps est plutôt équitable pour les deux candidats du NFP qui ont tous besoin de nous […] j’essaie de m’investir au mieux pour les deux candidats en tout cas personnellement. » Et de poursuivre « il y a plus de voix à récupérer sur la circonscription de Zahia , je suis d’accord. [Mais] je ne vois pas en quoi Ruffin dirige tout et tout le monde ? Tu parles des partis ? On a eu aucune consigne de sa part et je n’ai donné aucune consigne aux militants pour allez chez Ruffin ou chez Zahia. L’objectif est clair: faire barrage au RN que ce soit dans la 1 ou dans la 2. »

Et si l’objectif était clair, le constat est bien différent, si certains se sont contentés de quelques tweets de soutien, d’autres, de deux photos sur un tract, tout ce monde pariait sur la défaite de Zahia Hamdane comme pour valider la théorie Ruffiniste anti-mélenchoniste. « Je te rassure, François Ruffin n’est pas encore membre du Parti Socialiste mais ça arrange le social-démocrate que je suis » nous lance un socialiste en fin de soirée.

Et dans le fracas et la stupeur, tout ce petit monde n’avait pas encore réalisé que la gauche des cités et celle des campagnes étaient une seule et unique gauche, antiraciste et progressiste, sans reniement possible, digne et fière de l’être.