Depuis plusieurs semaines, une dizaine de personnes squattent un immeuble abandonné du quartier Saint-Maurice, à Amiens, pour dénoncer le « mal-logement ». Le bailleur social, propriétaire des lieux, déplore une situation récurrente concernant cet immeuble de six logements, abandonné depuis trois ans et qui devrait être transformé en logement individuel par Habitat Hauts-de-France.
Sur place, tout est déjà installé, canapé, armoire, table, l’immeuble abandonné semble avoir repris vie. Mathieu*, l’un des membres du collectif « les habitants du Tout-Quai » comme ils se font appeler, occupe les lieux avec son chien. Ce lundi là, les allées et venues ne cessent et le collectif, proche des Gilets Jaunes, s’affaire. Une partie s’apprête justement à rejoindre le Mic-Mac où plusieurs événements sont organisés dans le cadre de « la rentrée militante du collectif Amiens Révolté. »
Un immeuble abandonné par un bailleur social
Sur les murs, quelques affiches et des extraits d’articles de loi, quelques traces aussi des anciens occupants. Selon Mathieu, « il y aurait eu ici un centre de réinsertion d’adolescents » autrefois. Le collectif est tombé sur des documents qui montreraient qu’il n’est plus occupé depuis au moins trois ans. Un abandon qui a motivé leur occupation: « nous avons décidé de squatter pour survivre, pour lutter. Dans ce sens, le 25 septembre, nous avons ouvert un bâtiment, le Tout-quai , à des fins d’habitation et d’activité. Ce bâtiment délaissé depuis au moins juillet 2020 appartient à SA HABITAT HAUTS-DE-FRANCE » précise le collectif.
« Dans le rapport de 2023 de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France, on dénombre 14 000 000 de personnes concernées par la crise du logement dans son entièreté, des personnes sans domicile aux personnes en fracture énergétique…. En France, nous avons plus de logements vacants que de personnes sans logement personnel qui sont au total de 1 098 000, dont 330 000 sans domicile. » En effet, dans son dernier bilan, l’association estime à plus d’un million de personnes privées de logement personnel. Elles sont à la rue ou habitent chez un tiers, dans des abris de fortune et parfois dans des chambres d’hôtel. D’après la fondation l’Abbé Pierre, le mal-logement toucherait quatorze millions de personnes en France, entre sans domicile, surpeuplement ou difficultés de paiement.
En 2021, L’INSEE annonçait qu’au « 1er janvier 2021, sur les 37,2 millions de logements, 3,085 millions sont vacants, soit 8,3 % du parc immobilier total […]. En 5 ans, la hausse frôle ainsi les 7 % », cite le collectif. « Le ministère de la Transition écologique dont dépend le ministère du Logement avait précisé que « 1,1 million de logements du parc privé sont vacants depuis au moins deux ans. »
Le nombre de logements vacants s’est effectivement accru ces dernières décennies. En 2021, sur plus d’un million de logements vacants depuis « au moins deux ans » , 300 000 se situaient en zone immobilière tendue.
Ils demandent la réquisition des logements vacants et l’abrogation de la loi Kasbarian-Bergé
« La réquisition des logements vides depuis plus de deux ans serait à minima une solution pour lutter contre le mal logement et le non logement, martèle le collectif d’occupants. Mais il n’en est pas, la stratégie du gouvernement c’est la précarisation et la répression des pauvres. »
Et de poursuivre: « La loi Kasbarian-Bergé promue durant l’été 2023 et renforçant la loi ASAP de 2020 est un tour de force réactionnaire. Elle permet de sanctionner plus férocement des habitant-es sans droits ni titre (qui étaient déjà sanctionné-es lourdement) et de les expulser sans jugement sur sollicitation du préfet; de faire glisser (doucement mais sûrement) les locataires en situation d’impayés dans le même schéma répressif que celui des squatteur-euses grâce à une facilitation des expulsions locatives. Ou encore d’élargir la répression des occupations à n’importe quels types de bâtiments comme ceux à usage économique.
« En temps de mouvement social, les patrons pourront mobiliser la Loi Kasbarian-Bergé pour casser une grève et condamner pénalement les occupant-es. »
Le collectif occupant illégalement un immeuble abandonné, quartier Saint-Maurice, à Amiens, proteste contre une loi qu’il juge « réactionnaire »
La loi prévoit également « la création d’un nouveau délit de propagande ou de publicité facilitant le squat, puni de 3 750 € d’amende, alourdit d’une amende de 7 500 € l’endettement des locataires s’ils se maintiennent dans les lieux après une décision d’expulsion. Condamne jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 € d’amende les personnes et familles qui, faute d’hébergement d’urgence, se mettent à l’abri dans des logements inhabités, des bureaux vides, des bâtiments industriels ou agricoles désaffectés, ainsi que les salarié-es qui occupent leur lieu de travail dans le cadre d’un mouvement social. Elle permet d’accélère la procédure d’expulsion locative, court-circuite les dispositifs de prévention déjà fragiles et retire au juge le pouvoir de suspendre l’expulsion quand il l’estime possible et nécessaire » rappelait de son côté la Fondation Abbé Pierre en juillet dernier; dénonçant « la criminalisation de la pauvreté et du mal-logement, l’accélération des expulsions ou encore l’entrave aux libertés associatives et syndicales qui sont contraires à la loi fondamentale et aux engagements internationaux de la France. »
Des squats récurrents qui ralentissent le projet d’un logement individuel selon Habitat Hauts-de-France
De son côté, presque désabusé, Bruno Lelièvre, responsable Habitat Hauts-de-France à Amiens et propriétaire de l’immeuble squatté déplore une situation récurrente depuis près de trois ans: « Je venais tout juste de faire passer des géomètres… la dernière fois, ça a duré 6-7 mois et il y a déjà eu des squats à cet endroit au moins 3-4 fois d’après ce qu’on m’a dit. »
Si Habitat Hauts-de-France confirme l’abandon de l’immeuble il y a trois ans, plusieurs projets ont été évoqués pour réutiliser cet immeuble qui aurait appartenu à l’association spécialisée dans l’insertion sociale, l‘APREMIS: « il avait été question de faire des chambres étudiantes car il y avait 6 logements mais finalement cela devrait être un logement individuel, un grand logement » confie t-il. « C’est sûr, quartier Saint-Maurice, ils sont proches de tout, ils sont presque plus près que mes logements étudiants » s’amuse tout juste Bruno Lelièvre qui confirme qu’aucun logement étudiant n’est disponible chez le bailleur: « ça s’était calmé avec le COVID mais là, ça repart, il y a une forte pression! »
Outre l’occupation illégale, ce sont les dégradations matérielles que craint le plus le bailleur social qui a déposé plainte, « comme le prévoit la procédure. » Lors des précédentes occupations illégales de cet immeuble, les câbles de cuivre avaient été volés: « tout avait été coupé, forcément ça engendre des frais » se souvient Bruno Lelièvre qui s’en remet une fois encore aux autorités: « il faut le temps que la Justice fasse son travail et que le huissier négocie. La dernière fois, c’était passé au tribunal […] mais ça va, là, il n’y a pas de matériel. »