Le vendredi 18 février, le street-artiste Jaëraymie, inaugurait dans les rues d’Amiens une série de six œuvres baptisée « Distorsions ». Son premier portrait représentant Emmanuel Macron, l’œil tuméfié par un tir de LBD et portant un gilet jaune, a déjà fait couler beaucoup d’encre dans la ville natale du Président de la République.

 

Le portrait d’Emmanuel Macron représenté en gilet jaune a fait réagir à Amiens. L’artiste aurait-il réussi son œuvre qui a suscité moult réactions ? ©Jaëraymie

 

L’œuvre installée illégalement sur une friche industrielle appartenant au groupe Edouard Denis, rue St-Leu, a été recouverte de planches de bois « par la Police Nationale et un agent polyvalent de la ville » quelques heures après son installation. Du côté d’Amiens Métropole qui célébrait en grande pompe un festival de street-art il y a quelques semaines, on oscille entre gêne, crispation et surprise.

Mais suite à l’émoi suscité chez les habitants et dans la presse, le vendredi suivant, Pierre Savreux, le vice-président à la Culture d’Amiens Métropole (LR) a dégagé toute responsabilité de l’agglomération face à cette forme de censure. Ce lundi 28 février, la mairie nous assurait de son côté qu’elle n’était pas au courant et qu’elle a appris les faits par les médias. Du côté de la Police Nationale à qui nous avons soumis la déclaration de Brigitte Fouré, la maire (UDI) d’Amiens, on nous répète un brin piqué « qu’aucun ordre n’a été donné, nous, on est là pour constater » nous assure par téléphone le Service Information et Communication de la Police Nationale. Mais qui a donc donné l’ordre de « soustraire le portrait d’Emmanuel Macron en gilet jaune à la vue du public » comme l’affirme Amiens Métropole ? L’étau se resserre, mais pour l’heure, aucune explication officielle n’a été donnée par la Préfecture de la Somme

 

 

Il n’aura fallu que quelques heures pour que le portrait rue St-Leu soit « soustrait à la vue » sans pour autant être nettoyé. ©Jaëraymie

 

Entre icône et caricature; la génèse de la distorsion 

« Chaque personnage du projet est lié par une ville soit par la réalité soit par la fiction » nous explique l’artiste de 35 ans. « Au delà de la peinture il s’agissait de s’interroger sur le point tangent dans l’histoire de chaque personnage. » Pour Jaëraymie, cette série de six portraits qu’il finance lui-même, marque l’aboutissement d’un travail qui aura duré près de deux ans. Croquis et travaux préparatoires publiés régulièrement sur les réseaux sociaux attestent de la maturité de sa démarche artistique.

Pour son premier portrait, la trame narrative autour du personnage du président est sans équivoque, l’œuvre en est d’autant plus disruptive et fait réagir: « Pour Emmanuel Macron, dans la réalité, il loupe deux fois le concours de l’Ecole Normale Supérieure, dans sa vraie biographie, sa vie c’est une ligne droite alors il s’agissait de trouver le point de bascule. Après cet échec, j’ai imaginé que ses parents lui disaient de rentrer à Amiens. Une fois rentré, il se brouille avec sa famille, enchaîne les petits boulots et continue le théâtre, sa passion. Il finit par retrouver François Ruffin de Fakir et se lie d’amitié avec lui. Arrive le mouvement des gilets jaunes en 2018 et Macron est l’un des premiers à porter le mouvement« : un monde parallèle mais réaliste se déroule alors devant nous, distordu, troublant, subversif. Pour Jaëraymie, l’œuvre est là, toute prête comme une évidence dérangeante.

« Il finit par retrouver François Ruffin de Fakir et se lie d’amitié avec lui. Arrive le mouvement des gilets jaunes en 2018 et Macron est l’un des premiers à porter le mouvement. »

Jaëraymie, street-artiste

Du 17 au 18 février, l’artiste installe alors ce premier portrait rue St-Leu, en face de l’école Saint Joseph. Dans ce quartier jeune et festif d’Amiens, les street-artistes sont les bienvenus. Amiens a même fait de cette présence une caractéristique identitaire forte du quartier à travers son festival d’arts visuels IC-ON-IC. Des parcours mettant à l’honneur des œuvres de street-artistes locaux étaient proposés au public pendant plusieurs mois.

 

A St-Leu, le street-art fait partie de l’ambiance de ce quartier historique d’Amiens qui attire les touristes. La mairie et l’agglomération travaillent à la mise en valeur de ces artistes et de ce patrimoine artistique récent et attractif.

A quelques mètres tout juste du portrait peint par Jaëraymie et sur le même bâtiment, d’imposantes fresques et de grands portraits occupent les murs; la place était toute trouvée sur cette friche industrielle qui sera prochainement en partie démolie.

Mais le lendemain matin, plusieurs témoins rapportent au Courrier picard que la Police Nationale s’affairait autour du portrait et qu’une personne est intervenue pour barricader la vue moins de 24 heures après la pose de l’œuvre. Le groupe Edouard Denis, propriétaire des murs concernés, affirme à Bakhti Zouad du Courrier picard que le groupe n’est en rien responsable et n’a jamais demandé de cacher le portrait.

 

« Une brigade a constaté l’infraction a demandé à la mairie si le portrait était prévu, on nous a dit que non, nous on est là pour constater l’infraction. »

Le service communication de la Police Nationale

 

Le service presse de la Police Nationale nous précise de son côté qu’une brigade est intervenue le 20 février -et non le 19 février- pour constater l’infraction: « nous n’avons pas à donner d’ordre a la mairie » répète notre interlocuteur au Service Information Communication de la Police Nationale. D’après lui, c’est un agent de la mairie qui aurait posé les planches sous ordre de « qui vous voulez mais nous on ne donne pas d’ordre, une brigade a constaté l’infraction a demandé à la mairie si le portrait était prévu, on nous a dit que non, nous on est là pour constater l’infraction« . A la mairie (UDI/LREM) on est catégorique « ni l’élu d’astreinte ni le membre de mon cabinet d’astreinte n’ont donné instruction de recouvrir le portrait d’Emmanuel Macron. Pour ma part c’est par la presse que j’ai appris les faits » nous confirme Brigitte Fouré.

 

Un peu plus loin, sur les bâtiments du groupe Edouard Denis où est installé le portrait d’Emmanuel Macron, des fresques et personnages comme ceux de Juan Spray, street-artiste local, attirent de nombreux visiteurs, ils étaient pour la majorité invités à le faire dans le cadre d’IC.ON.IC.

Le service communication de l’agglomération d’Amiens (LR) se faisait pourtant plus précis quelques jours auparavant: “L’ordre de soustraire à la vue du public cette représentation d’Emmanuel Macron a été donné par la Police Nationale c’est donc du côté de la Préfecture de la Somme qu’il faut se tourner.” Du côté de la Préfecture de la Somme, silence radio: “La Préfecture ne souhaite pas communiquer à ce sujet” nous répète t-on. « C’est donc la préfète qui a donné l’ordre ? » on nous répond « Ah, non,  je n’ai pas dit cela !« . Du côté de la Police Municipale, l’explication est claire: “Nous ne sommes pas intervenus, c’est la Police Nationale aidée d’une personne de la mairie qui ont posé les planches sur le portrait” nous confirment deux agentes. La polémique gonfle parmi les réseaux artistiques, gilets jaunes et macronistes entraînant autant de discussions autour du soutien des artistes dans la région, de la censure ou de l’acceptabilité d’une œuvre quelque soit le contexte.

« L’ordre de soustraire à la vue du public cette représentation d’Emmanuel Macron a été donné par la Police Nationale c’est donc du côté de la Préfecture de la Somme qu’il faut se tourner. »

Amiens Métropole

Mais les préoccupations sur la guerre en Ukraine se font légitimement plus fortes, mais s’y mêlent aussi, la censure n’est finalement que le second signe de la guerre après les morts qu’elle cause. Brigitte Fouré le rappellera par ailleurs au Courrier picard, cette affaire n’est plus la priorité à l’agenda. En marge d’un rassemblement pour soutenir le peuple Ukrainien, l’élue d’astreinte nous confirmera qu’elle n’a reçu aucune information au sujet de l’intervention de la police: « je reçois des alertes quand un arbre tombe sur la voie lors de la tempête mais je n’ai eu aucune information à ce sujet. »  

 

Un art qui se tient sage

« On a l’impression qu’il y a un art acceptable et un art qui ne l’est plus. Ca n’est pas parce que c’est le chef de l’Etat qu’on ne peut pas le caricaturer, ça sert bien de parler de Molière ou des grands intellectuels si on a perdu notre capacité à caricaturer et à proposer des satires du pouvoir« , nous glisse un soutien amiénois de l’artiste.

Pour Jäeraymie, il s’agit bien là d’un droit à la caricature et à la satire mais pour lui, pas question de parler de « droit au blasphème » comme il a pu le lire ici et là, ni de censure. Son œuvre réalisée de façon illégale choque mais renvoie également une violence subie par de nombreux français. « Je représente Macron en gilet jaune avec un tir de LBD 40 et les gens sont choqués ? J’attends qu’ils réagissent de la même manière quand ils entendront des paroles qui blessent, des paroles qui stigmatisent. Mon action à moi est une action artistique non-violente. » 

 

Tout en dégradé 

Pour Thomas Dorez, maire-adjoint du quartier St-Leu, la surprise était de taille en découvrant dans la presse locale le portrait censuré d’Emmanuel Macron en gilet jaune. « Il faut avouer, le travail de l’artiste a été bien réalisé et je le suis sur Instagram » nous confie l’élu LREM. Attaché à l’expression artistique dans l’espace urbain, l’élu amiénois n’hésite pas à défendre la démarche de l’artiste: « le message de l’œuvre en question ne me dérangeait personnellement pas. J’ai également été surpris à la lecture des articles de presse. « 

Le 18 février, les amiénois-es découvrent ce portrait du street-artiste Jaëraymie sur un bâtiment privé de la rue St Leu. Quelques heures plus tard, il est recouvert de planches de bois par un agent polyvalent de la ville sans que personne ne sache qui avait pris cette décision.

L’intention du street-artiste n’a pas été comprise par tout le monde. En effet, dans un contexte électoral, le portrait de Jaëraymie qui n’a pas fini de faire parler de lui, est apparu comme un manque de subtilité politique pour l’instance qui a ordonné la censure du portrait dans l’espace public. Le vendredi 25 février, Pierre Savreux, vice-président (LR) à la Culture de l’agglomération amiénoise, a clarifié la situation sur Twitter et a rappelé son attachement à la liberté d’expression et artistique: “Amiens Métropole n’est nullement à l’origine de la demande de recouvrement de l’oeuvre du street-artiste Jaëraymie.

« La Liberté de création et d’expression est pour nous intangible, elle est au cœur de notre projet culturel. » 

Pierre Savreux, VP (LR) à la Culture d’AM

« Mais pourquoi un tel placage en bois alors ?  s’interroge Jaëraymie, le portrait est fait de papier peint collé, il n’y avait aucun problème pour l’enlever » L’affaire fait parler et les habitants, heurtés, réagissent: « On a clairement affaire à une forme de censure » , explique Bertrand Devendeville. Pour rappeler son attachement à la démarche, l’Amiénois n’hésite pas à suspendre au portrait censuré des photocopies de l’œuvre accompagnées d’un petit texte expliquant la démarche de l’artiste: « c’était un acte citoyen pour défendre sa démarche artistique, tout l’honneur lui revient et c’est ce que je voulais rappeler.« 

Le portrait « soustrait à la vue » une seconde fois

En milieu de semaine, il ne restait plus aucune photocopie sur le placage de bois masquant l’œuvre de Jaëraymie, un tag avait déjà fait son apparition sur les planches recouvrant le portrait d’Emmanuel Macron; « la vie est belle » comme si Amiens, gênée, voulait détourner son regard une nouvelle fois.

Et c’est finalement ce qu’elle a fait. Samedi 26 février, le placage de bois avait disparu, le portrait était à nouveau partiellement visible et plusieurs messages à l’intention de la Préfecture de la Somme recouvraient les planches jonchant le sol. L’action revendiquée par les Réfractaires du 80 a été immédiatement corrigée quelques jours  plus tard.

Des habitant-es ont filmé l’intervention de deux agents polyvalents d’Amiens Métropole agrafant une nouvelle fois les planches sur le portrait de Jaëraymie. Malgré ces nombreux rebondissements, l’action n’a suscité toujours aucune réaction officielle de la part de la Préfecture de la Somme, près de deux semaines après les faits.

François Hollande édenté à Tulle et…vite nettoyé

Le street-artiste poursuit sa série « Distorsions », avec un 2e portrait de François Hollande à Tulle vite nettoyé quant à lui contrairement au portrait amiénois. A Tulle, pas d’émoi autour du statut de l’oeuvre.

Dans la suite de sa série, « Distorsions » le street-artiste a collé le portrait de François Hollande édenté à Tulle, la ville dont l’ancien président a été maire. L’expression des « sans-dents » servait à qualifier les classes populaires dans la bouche de François Hollande. L’expression avait été révélée en 2014 dans le livre de Valérie Trierweiler Merci pour ce moment.

 

DT