Ce samedi soir, vers 19h, c’est la dernière. Les voutes de la cathédrale d’Amiens font l’objet d’un spectacle projetant une vidéo d’un ciel chargé d’étoiles. Et voilà la plèbe convoquée chaque soir à se planter comme des santons dans l’édifice religieux.

Le festival Chroma a acquis une réputation parfois à grands frais de la part de la collectivité qui n’hésite pas à signer plusieurs campagnes publicitaires couteuses, notamment dans le métro parisien. © Amiens Tourisme

« A chaque élection, Brigitte me disait qu’elle allait prier pour moi, c’est son rituel » nous glissait, il y a quelques mois, un élu de la majorité de Brigitte Fouré (UDI). La maire d’Amiens ne s’en est jamais cachée, fervente catholique, son élection est aussi le fruit de liens étroitement entretenus avec ces réseaux de la ville dans lesquels on vote massivement.

En octobre dernier, la maire remettait les clefs de la cathédrale au nouveau curé et recteur, Don Regis. Autant de symboles qui participent à entretenir une image favorable de la municipalité dans les réseaux religieux.

Le nouveau recteur de Notre-Dame d’Amiens recevait en octobre dernier les clefs de la cathédrale de la part de la maire, Brigitte Fouré (UDI). © Notre-Dame d’Amiens

Si le spectacle « Chroma » est bien connu des Amiénois-es, c’est aussi un dispositif couteux tant sur la consommation énergétique que sur le plan de la communication d’envergure à la charge de la collectivité qui en a fait un symbole de sa candidature pour le titre de Capitale de la Culture 2028.  Entre les flyers et les campagnes publicitaires dans le métro parisien, le budget dédié -dont nous ignorons pour l’heure le montant global exact- est important. Mais l’offre qui se veut culturelle par la mairie et Amiens Métropole laisse entrevoir les rapports et les convictions religieuses de la majorité d’union de la droite qui préfère souvent miser sur une vision conservatrice du patrimoine et de la culture, devenant de fait, toujours un brin prosélyte.

D’abord à l’extérieur de la cathédrale, « Chroma »,  le spectacle de vidéo-mapping, se tient jusqu’au 31 décembre à l’intérieur de l’édifice. Si sa carrure et son architecture forcent le respect, le symbole et l’intention laissent pantois. Obliger la population à pénétrer dans un édifice religieux toujours d’usage -et oui, on célèbre toujours la messe dans la Cathédrale d’Amiens- pour admirer un spectacle financé par la collectivité qui veut même en faire un étendard, peut susciter des questions.

Culte ou culture ? Telle est la question.

Et c’est encore les catholiques qui esquissent le mieux le problème: « Le patrimoine est fondamental mais la Cathédrale n’est pas un musée » confiait à TF1 le Père Gilles Drouin en charge de la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Le religieux faisait référence aux conflits provoqués entre la vision pratique de l’Eglise qui voit le lieu comme un lieu de culte et la vision patrimoniale des architectes des Bâtiments de France, soucieux de conserver le caractère originel de l’édifice.  Entre compromis et abandons, deux visions qui s’affrontent mais où « le clergé reste dépositaire« ; l’édifice est à sa charge et lui appartient.

 

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Les dés sont-ils pipés ? 

Mais dans ces deux visions qui s’affrontent presque sainement, ce sont parfois deux visions qui s’affrontent illusoirement et où les deux partis appartiennent à la même confrérie. Les dès sont pipés.

Pierre Savreux (LR), vice-président à la Culture d’Amiens Métropole, proposait en octobre dernier, à travers le festival ICONIC, une première incursion déjà dans l’Eglise Saint-Germain. Désacralisé, le lieu cherchait encore en février 2021 d’importants investisseurs pour être rouvert au public. Mais les questions d’une réouverture pour un autre usage que religieux restent pour l’heure sans réponses et laissent planer le doute sur les intentions et les motivations de la collectivité.

A Amiens, le marché de Noël s’est conclu cette dernière semaine de décembre, le Comité de quartier du centre-ville a pu ranger sa crèche qu’il exposait fièrement rue des 3 Cailloux. Il manquait toutefois dans cette jolie scène innocente prenant place devant la Cathédrale, le Ravi de la crèche, ce petit santon provençal tout crédule qui s’émerveille d’un rien; peut-être se trouvait-il, ce jeudi là,  ailleurs dans la rue. © Amiénois-e.fr

Les motivations de la collectivité restent tout aussi floues quand il s’agit d’exposer lors d’un marché de Noël -se tenant sur l’espace public- une crèche confectionnée par le Comité de quartier du centre-ville; association municipale subventionnée.

Alors que les sénateurs (LR) ont déposé le 19 décembre une proposition de loi afin de mettre à mal la loi de 1905 qui a proclamé la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la porosité entre certains milieux religieux intégristes et les sphères politiques conservatrices sont monnaie courante: « Les symboles de nos traditions sont attaqués par un mouvement politique extrémiste et wokiste qui vise à déconstruire ce que nous sommes : arbres de Noël, crèches, santons, galette des rois et même œufs de Pâques sont visés » expliquaient les sénateurs dans un communiqué afin de justifier leur attaque.

Des faits et intentions parfois imperceptibles qui sont autant de remises en cause de la loi de 1905, pilier fondamental et souvent malmené à des fins électorales. Ces manipulations, trop souvent sous-estimées, ont pourtant des impacts dommageables pour une majeure partie de la population chez qui la laïcité devient une notion de plus en plus accessoire et peu compréhensible.