A Camon, à l’est d’Amiens, le maire communiste de la ville, Jean-Claude Renaux veut construire 31 logements dans un écrin de verdure aux portes des hortillonnages. Non loin du Marais des Bœufs, le terrain, au bord de la Somme, abritait jadis un atelier pour bateaux. Désaffecté, le site avait retrouvé tout son éclat naturel. Les habitant-es dénoncent un projet hors sol de bétonisation, fait sans concertation et nuisible pour la biodiversité.
Mais à gauche, on oscille entre gêne, malaise et silence face à la volonté du maire communiste, également conseiller départemental de la Somme aux côtés d’une écologiste et vice-président aux Transports d’Amiens Métropole dans une majorité de droite.
Annoncé discrètement en juillet dernier par Jean-Claude Renaux (PCF), le projet de « Venise verte » sur les bords de la Somme fait grincer des dents. A Camon, on ne décolère pas face à ce projet de construction d’immeubles de standing de 15 mètres de haut qui va permettre de bétoniser et privatiser un espace naturel pourtant plébiscité par les habitant-es. Acheté par la commune en 2009 qui envisageait y installer un restaurant/guinguette, le terrain considéré comme une friche est rapidement nivelé et préparé à la vente. « Les années pourtant s’écoulent et rien de concret ne se passe » rappelle Jean-Pierre Hadoux, ancien conseiller municipal (PS) et opposant au projet. « En 2016, le maire se réveille et lance un appel à projet en vue d’une valorisation d’une emprise foncière située sur les bords du fleuve. » Mais les délais sont bien trop courts et ne permettent pas à de potentiels investisseurs de s’intéresser au projet. « L’hypothétique guinguette en reste là, une nouvelle fois, avant que ne se meuve à nouveau notre édile il y a quelques mois, soucieux sans doute de se débarrasser rapidement de cet encombrant classeur qui traîne !
C’est alors que surgit de la vase, en plein mois de juillet, ce programme immobilier aujourd’hui controversé.
Jean-Pierre Hadoux, opposant au projet, rappelait les dates clefs de la « Venise verte » dans le Courrier picard ce 17 septembre.
De plus en plus nombreux, les opposants de tous bords politiques, mais tous soucieux de la biodiversité du lieu, n’en finissent pas de manifester leur mécontentement. Après plusieurs rassemblements devant la mairie de cette commune de 4 300 habitant-es, les anti Venise verte ont préféré mené la bataille citoyenne seuls face au maire communiste de Camon: « On rejette toute récupération politique. Nous voulons juste être écoutés, alerter sur un projet passé en catimini et exiger du maire qu’il nous écoute » , insistait auprès du Courrier picard, Olivier Maloingne membre du collectif d’opposant-es.
Les principales revendications des habitant-es sont claires: le projet est trop volumineux, nuisible à la biodiversité et dans un site d’une rareté mondiale; les Hortillonnages. Le site devrait aussi accueillir des bateaux privés qui pourront s’amarrer devant les imposantes bâtisses, d’où le nom de « Venise verte ». Parmi le collectif d’opposants, on retrouve les militants en lutte contre le projet Boréalia, regroupés au sein de l’association P.A.T.A.T (Préservons l’Avenir des Terres Amiénoises pour Tous-tes) mais aussi des conseillers municipaux d’opposition et beaucoup d’habitant-es.
Reportage de @F3Picardie sur le combat du collectif diffusé ce lundi. Merci à eux pour la mise en lumière.
Pétition à signer ➡️ https://t.co/LeJBlk31ig#Hortillonnages#Camon#Amiens pic.twitter.com/kpn5zssqxl— Non à la bétonisation de Camon (@stopbetoncamon) September 19, 2022
Pour le maire communiste, Jean-Claude Renaux, tout est dans les clous. Le projet immobilier se situera bel et bien sur un terrain constructible et puisqu’il y a déjà beaucoup de constructions sur les bords de la Somme, le sexagénaire ne compte pas se gêner et n’y voit là, aucun inconvénient. Regrettant que l’opposition se manifeste à ce stade avancé du projet, le maire met avant la pression immobilière dans cette petite commune d’Amiens Métropole qui compte essentiellement des logements individuels et où 70% de la population est propriétaire. Pourtant le communiste n’a cessé de bétoniser des espaces de plus en plus importants depuis plus de 10 ans comme le détaille le Portail gouvernemental d’artificialisation des sols.
Le projet Boréalia représente l’équivalent de plus de 10 ans de consommation d’espace en une seule fois.
A Camon, le projet de « Venise verte » s’inscrit également dans une accentuation de la consommation de l’espace, parmi les plus importantes de l’agglomération. pic.twitter.com/FJeIFre4bE
— Dino TOMASI (@DinoTomasi) September 16, 2022
A gauche, un consensus difficile à obtenir face au maire, conseiller et vice-président « communiste »
Une situation paradoxale qui ne facilite guère le positionnement des élu-es et militant-es de gauche bloqué-es dans des logiques de partis fébriles où les valeurs fondamentales de la gauche s’amenuisent de plus en plus. Aperçu lors des premiers rassemblements, Julien Pradat (DVG), conseiller municipal d’opposition à Amiens et architecte, n’a pas hésité à dénoncer le projet: « Dans la série des grands projets inutiles ! un immeuble construit sur 5 niveaux, au Marais aux Bœuf à Camon ! Celui-là, il est dans le haut du classement. » Mais après quelques vérifications, les revendications ont vite laissé la place à un silence assourdissant sans grande réaction du principal groupe d’opposition de gauche « Amiens c’est l’tien ».
Ironie du sort, Jean-Claude Renaux est élu au Conseil départemental de la Somme aux côtés de l’écologiste Esra Ercan, restée bien silencieuse depuis deux semaines face aux revendications des habitant-es. « C’est pas si simple« , tance t-elle. « Ce n’est pas tout blanc ou tout noir et en tant que conseillère départementale, c’est assez difficile de se positionner car ce n’est pas dans mon champ de compétence » se défausse l’élue EELV.
Pourtant, Thomas Hutin, conseiller régional écologiste des Hauts-de-France, pas plus concerné par ce projet dans la municipalité de Camon, était présent lors d’un rassemblement anti « Venise verte ». « Pour Thomas, libre à lui de le faire mais avec Jean-Claude, mon binôme, je sais compter sur lui et il sait compter sur moi » précise l’élue écologiste. « A Camon, il y a une forte densification urbaine et une tension immobilière, et cette friche bloque le Plan Local d’Urbanisme. En tant que militante, j’ai mon idéal écologiste mais parfois dans la vie d’un élu il y a des contraintes et des choix à faire. » Et de poursuivre, « Quand je prends position, je prends le temps de réfléchir mais…
Ce qui serait mieux c’est qu’il n’y ait pas de logement, les hortillonnages, c’est un symbole, c’est un lieu qu’on essaie de préserver.
Esra Ercan, conseillère départementale EELV de la Somme, binôme du communiste Jean-Claude Renaux sur le canton.
A EELV Somme, on a préféré rester discret sur les engagements publics « Le positionnement politique a été refusé » nous confie Esra Ercan. Du côté des socialistes, même distorsion entre cadres et militant-es du parti. Rémi Cardon, sénateur PS de la Somme, cumule aussi allégrement les mandats. Conseiller municipal de Camon, il s’est très vite empressé de soutenir ce projet: « La parcelle concernée par le projet est une friche, dont les sols sont déjà artificialisés et qu’il convient donc de reconquérir en priorité« . Mais l’affirmation est à nuancer. Si la parcelle était autrefois artificialisée, les sols n’ont en aucun cas été imperméabilisés, la nature y a par ailleurs repris ses droits. Ce à quoi le sénateur socialiste répond par un devoir de reconquête des friches tout en y associant un argument fallacieux d’accessibilité: « Voulons-nous d’une commune où seuls les ménages en capacité d’investir puissent s’installer ? Ou bien ne devrions-nous pas préférer des projets qui permettent de reconquérir des friches au bénéfice de nos terres agricoles ? » Obsédé par la « reconquête« , le sénateur omet toutefois de préciser que le m² de ces 31 logements en bord de Somme sera plus de 10% plus cher que le marché.
Cerise sur le gâteau, lors des rassemblements anti Venise verte, Laure Vincent, membre du bureau du Parti Socialiste d’Amiens, était également présente. Des gesticulations et des paroles qui s’opposent publiquement les unes aux autres et qui montrent les limites de la politique de partis. Le trouble est total parmi les citoyens qui n’attendent pourtant qu’une chose: être soutenu et entendu par les élu-es et partis pour lesquels ils n’hésitent pas à voter.
François Ruffin, député LFI-Picardie debout de la Somme, s’est vite proposé comme médiateur suivi de quelques militants de Génération.s à l’instar de Philippe Casier et Lucien Fontaine qui n’hésitent pas à condamner fermement un projet de privatisation des berges de la Somme; un comble pour le maire communiste de Camon: « Le projet immobilier autorisé par la Mairie de Camon, si mal nommé « Venise verte », n’est ni d’inspiration vénitienne, ni vert. Les berges de la Somme doivent être protégées face à la spéculation immobilière au profit de quelques riches acquéreurs pour demeurer un espace commun »; le bras de fer est engagé et réserve quelques surprises.