Heurtée par les propos du nouveau gérant et par la description de son magasin dans l’un de nos articles annonçant sa réouverture en décembre dernier. Josiane Delannoy, l’ancienne gérante du petit Casino de la gare St-Roch pendant 44 ans, nous a reçu dans sa maison à la campagne, non loin d’Amiens.
Elle y passe une retraite bien méritée, prise à 73 ans, en janvier 2022, après un demi-siècle de commerce amiénois.
Sous chaque grain de poussière, sur chaque étagère à la peinture écaillée, se cache parfois le labeur d’une vie harassante. On aurait eu tort de ne pas lui concéder cela, à Josiane, elle qui a tant servi les amiénois de jour comme de nuit.
Blessée par la description de son magasin, la septuagénaire nous a reçu chez elle au nord d’Amiens. Et Josiane n’est pas de ces personnes qui se laissent malmener facilement, une femme forte que la vie n’a pas épargné: « Quand mon mari est tombé malade, je me suis retrouvée toute seule, là je me suis dit, attention, va falloir tenir bon. »
Tenir sa superette, Josiane Delannoy l’a fait pendant 44 ans. Pendant près d’un demi-siècle, elle a tenu, du lundi au dimanche, son magasin: « Je travaillais 19 heures par jours, de 7h à 2h30, le travail ne m’a jamais fait peur[…] Je vivais dans mon magasin, c’était ma vie. » Une vie qui mérite le respect, même à travers quelques maladroites descriptions de sa superette un brin vétuste à l’époque, mais que plusieurs générations d’amiénois ont connu. « Dire que les gondoles étaient âgées, oui, Casino n’a presque jamais fait de travaux en mon temps, mais dire que c’était crasseux certainement pas ! […] Le carrelage était nettoyé tous les jours, la preuve, c’est toujours le même ! » rectifie Josiane.
Quitter les champs pour le commerce: la vie rêvée pour Josiane
C’est à Madame Clérentin que Josiane a repris l’épicerie en 1978. La superette était restée dans son jus. Ils ont commencé comme ça, elle et son mari, Henri. Toute jeune, Josiane n’avait jamais tenu un commerce. « C’était tout nouveau pour moi. J’avais commencé à travailler dans les champs dès 14 ans avec mes parents. Ils étaient cultivateurs. Alors quand j’ai découvert le commerce, j’ai trouvé cela reposant. […] Une vie rêvée. La preuve, elle a duré 44 ans! » sourit-elle.
« Mon mari, le magasin, il n’aimait pas trop ça, ses parents étaient cultivateurs aussi […] il a eu du mal à se faire à la vie en ville […] Mais c’était mon mari le gérant. Au début, « La Ruche picarde » ne comptabilisait pas les femmes. Mais c’était moi qui dirigeais le magasin. Mon mari était souvent debout devant la porte » se souvient Josiane avec tendresse.
A l’époque, la supérette s’appelait encore « la Ruche picarde », nom que le magasin conservera jusqu’au 12 septembre 2000 suite à la reprise par le groupe Casino.
18 000 euros un 1er mai et 4 braquages, revolver sur la tempe
Les années ont passé, les peintures ont tout juste étaient refaites une fois en quarante ans, mais les amiénois sont restés fidèles à ce commerce si pratique. « Les gens me connaissaient. Ils savaient que s’ils venaient, j’étais ouverte. » La fidélité des clients était si grande et le repère si connu, qu’il est arrivé à Josiane de faire 18 000 euros de chiffre d’affaires un 1er mai.
Elle savait les fidéliser ses clients, toujours à sa manière, avec cette façon de ne jamais baisser les bras : « un jour, il y en a un qui m’a manqué de respect, je lui ai jeté ses articles à la poubelle, interdit de les récupérer. Un autre type est rentré pour prendre la même chose, j’ai fait mine de ne rien voir mais je n’étais pas dupe! »
« Mais dans l’ensemble, je n’avais pas à me plaindre, les gens me respectaient. […] Le pire ce sont les braquages, ça vous remue le sang » soupire Josiane. Braquée quatre fois, revolver à la tempe, ces épisodes ont laissé des souvenirs indélébiles chez l’ancienne commerçante: « Il était temps que je parte. »
Après un demi-siècle au magasin, la septuagénaire qui a pris sa retraite tardivement à 73 ans, ne souhaite pourtant pas ça aux professions les plus pénibles: « On va aller contre la réforme des retraites de Monsieur Macron[…] J’ai vu à la télé un homme de 62 ans qui portait encore des parpaings et qui était obligé de prendre des cachets pour son dos. Moi, je pense que pour des métiers pénibles il faut pouvoir arrêter avant […] La vie va si vite, on ne fait que passer. »
Son passage, à Josiane, a laissé un peu plus qu’un simple souvenir dans nos têtes, comme le témoin d’une époque qui nous a échappé, un repère dans un monde qui change si vite, une vie qui par dévouement et constance nous oblige au respect; un demi-siècle de commerce amiénois qui méritait bien l’hommage.