La vente de CBD est dans le collimateur du gouvernement depuis plusieurs mois. Le projet d’arrêté, transmis à la Commission européenne le 20 juillet, prévoit notamment d’encadrer davantage la culture du chanvre tout en interdisant la vente directe de fleurs et de feuilles.

La Commission européenne a rendu quelques observations fin octobre qui ne remettent pas en cause l’application de l’arrêté formulé par la France. Ce dernier a été publié au Journal officiel ce 31 décembre et entérine bel et bien l’interdiction de la vente des fleurs et des feuilles de CBD. Le Conseil d’Etat a validé l’arrêté ce vendredi 7 janvier 2022.

Le texte précise que « la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation […] sont interdites. » Une douche froide pour le secteur pour qui la vente de fleurs et de feuilles de CBD représente jusqu’à 80% du chiffre d’affaires.

Gerald Darmanin, ministre de l’Intérieur et pratiquant du tout répressif justifie une telle interdiction « pour des raisons de santé et d’ordre publics« . Bien en peine pour faire la différence entre CBD et cannabis à plus de 0,2 % de THC (et donc illégal), le gouvernement préfère interdire tout commerce de fleurs séchées au grand dam des vendeurs, producteurs et consommateurs.

La prohibition de la vente des fleurs et feuilles de CBD est perçue par les professionnels comme une énième tentative d’étouffer toute la filière.  Jason et Anthony, gérants de boutiques de CBD Extrem Lab à Amiens et St-Quentin, sont inquiets mais ne croient pas à une telle interdiction, la vente des fleurs séchées représente 50 à 80% de leur chiffre d’affaires et ils n’hésitent pas à se diversifier dans la vente d’huiles, de produits cosmétiques ou alimentaires à base de Cannabidiol (CDB).

« Ils ont déjà essayé d’interdire ou la vente ou l’ouverture de boutiques dans plusieurs villes mais ça a toujours été retoqué et ils ont pu ouvrir » glisse Jason. S’il est l’un des pionniers de la vente de CBD à Amiens, lui, n’a pas eu affaire à une quelconque hostilité des pouvoirs publics, bien au contraire:

« A Amiens, on a eu plutôt un bon accueil, au début la Préfecture est venue nous voir puis on a vérifié notre marchandise mais l’intégration dans la ville s’est plutôt bien faite. »

Depuis sa première installation en 2017 dans le quartier St Leu, Jason a vu la concurrence s’amplifier; Amiens a vu apparaître ces dernières années plusieurs boutiques spécialisées dans la vente de CBD. La vente directe des fleurs séchées s’est même étendue, depuis quelques mois, aux débits de tabac de l’agglomération.

Un commerce banalisé et en pleine croissance

D’abord à St Leu puis également rue Albert Roze à Amiens, le succès de la vente de CBD a conduit Jason à développer son propre label « Extrem Lab«  . C’est sous ce label, imposant aux gérants les fournisseurs ou bien encore certains critères bien précis, qu’Anthony a ouvert sa propre boutique de CBD à Saint-Quentin, en août 2021, rue d’Isle. Je les ai rencontrés dans l’une des boutiques amiénoises quelques semaines avant l’ouverture.

Et c’est Jason qui me reçoit dans sa boutique, rue Albert Roze. A quelques mètres à peine se trouve l’un de ses concurrents, « L’as du CBD », en face une épicerie bio trône aux angles des rues de Beauvais et de Tassigny si bien que tout le monde semble avoir trouvé sa place. Devant la boutique, poursuivant la discussion, une passante, la soixantaine, nous demande son chemin. Les grandes feuilles de chanvre dessinées sur la vitrine ne semblent pas l’effrayer. Après avoir obtenu quelques indications elle repart, tout sourire et la vie amiénoise suit son cours.

En effet, la clientèle de Jason, de tout âge et de tout genre, s’est diversifiée au fil des ans. L’essor du CBD et ses modes de consommation par combustion, infusion ou vaporisation ont fait augmenter considérablement la demande en répondant à des préoccupations et des attentes bien précises des consommateurs. Pour faire face à une telle demande, dans cette boutique, Jason emploie 2 à 4 salariés selon les périodes, travaille sa communication et pense à l’avenir.

Le souci marketing est bien là. Anthony, qui nous rejoint dans la réserve de la boutique quelques minutes après mon arrivée, est au diapason. Même souci de la rentabilité, du business et de l’esthétisme de la boutique. Petites étagères de bois brut, tons beige et crémeux, boutique spacieuse et style sobre et dépouillé, tout est réuni pour que le consommateur se sente à l’aise. Les fleurs de chanvre dessinées ici et là entretiennent cette confusion entre le cannabis et le CBD, une confusion qui n’est certainement pas le fruit du hasard.

Avec plus d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires estimés en France à l’horizon 2023, la vente de CBD reste très rentable et gagne même en puissance.

« C’est un domaine où il y a très peu de taxes et où la marge de revente est encore très importante » confie Jason.

Un argument de plus pour Anthony qui a ouvert sa propre boutique à Saint-Quentin, en aout dernier.

Des professionnels qui voient déjà plus loin malgré des politiques répressives à contre-courant 

Mais après l’ouverture de sa boutique, la joie d’Anthony a été vite tempérée par la publication de l’arrêté officialisant la prohibition. Inquiets face à l’interdiction de la vente des fleurs et feuilles de CBD, les professionnels tentent d’innover notamment sur le plan alimentaire où l’huile de CBD apparaît comme un produit de repli pour certains consommateurs.

Anthony, lui, n’hésite pas à proposer recettes de cuisine et petits conseils sur la page Facebook de sa boutique Saint-Quentinoise. Une façon également pour ces professionnels de gagner du temps et de poursuivre leurs activités dans l’attente d’un éventuel recours collectif.

Malgré l’interdiction de la vente de fleurs brutes officialisée dans cet arrêté du 31 décembre 2021, cela n’empêchera aucunement les consommateurs de se fournir dans d’autres pays de l’union européenne et ce, même si la détention est illégale; « L’UE a rappelé plusieurs fois la libre circulation des marchandises au sein des pays membres« , l’interdiction formulée par le gouvernement remet en partie en cause cette libre circulation mais ne l’empêchera évidemment pas. Les fournisseurs hollandais continueront à diffuser leurs produits quand les entrepreneurs français seront renvoyés au rang de spectateurs. Une situation qui passe mal auprès des entrepreneurs du secteur.

« C’est comme si on interdisait de porter un maillot de foot parce qu’il y a des vrais maillots et des maillots de contrefaçon

[…] si on veut être un peu méchant c’est à eux de faire leur métier et de faire la différence entre THC et CBD » s’agace Anthony.

L’interdiction de la vente de fleurs brutes de CBD intervient dans un contexte européen et international très contrasté sur le sujet. Alors que l’Allemagne, le Luxembourg sont en voie de légaliser le cannabis, Malte l’a déjà fait tout comme l’Uruguay et le Canada.

La France est le pays où la consommation de cannabis est la plus élevée en Europe et où la légalisation est la plus répressive envers les consommateurs. On estime qu’il y a près de 2 millions* de fumeurs quotidiens de cannabis et près de 20 millions* de français ont consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie.

L’échec du tout répressif est flagrant et difficilement contestable tant les consommations se sont banalisées dans les sphères privées et publiques. Une prohibition souvent sournoise puisqu’elle empêche de soigner ses habitudes pourtant très répandues dans la société et parfois dévastatrices dès l’adolescence.

Un constat que partagent Anthony et Jason qui malgré l’interdiction de la vente de feuilles et de fleurs de CBD ne s’empêchent pas d’imaginer la suite de leur aventure commerciale en proposant d’autres molécules comme le CBD ou le CBG. Mais au dessus des têtes plane toujours une attente forte; la légalisation du cannabis qui rendrait caduc ces débats stériles qui n’ont permis aucun résultat sanitaire probant: « si un jour la légalisation du cannabis est d’actualité, bien sûr qu’on saisira l’opportunité! On a tout le matériel, ça serait dommage de se priver !  »

*chiffres publiés par l’OFDT