Parmi les habitants d’Etouvie lors de cette seconde nuit de violences urbaines à Amiens, suite à la mort de Nahel, ce quartier comme Amiens Nord et la rue de Cagny ont subi d’importantes dégradations. Dans le quartier d’Etouvie des affrontements avec les forces de l’ordre ont émaillé la nuit entre incendies de véhicules, pillages et jets de projectiles en tout genre. Certains émeutiers disposaient d’armes à feu. Aux alentours de 2h00, l’un d’eux a tiré une fois en l’air annonçant dans un bruit sourd et retentissant une nouvelle nuit de chaos.

Le quartier s’est réveillé dans la brume, dans les cendres et la désolation ce vendredi.

Les premières voitures incendiées à Etouvie, en début de soirée dans la nuit de jeudi à vendredi, marquant une deuxième journée d’émeutes à Amiens suite à la mort de Nahel M. tué par un policier à Nanterre.

Peu après 21h00, les poubelles et les premiers véhicules flambaient déjà dans le dédale de tours du quartier d’Etouvie, à l’ouest d’Amiens. Des conteneurs à verre vidés pour utiliser les bouteilles comme projectiles contre les forces de l’ordre, éclatées sur la route, dans la rage. Dans ce théâtre de violences, des mères de famille et des enfants regardent les voitures en flammes, guettant un spectacle de désolation. Un peu plus loin, une adolescente, quinze ans à peine, souffle dans un sourire à demi étouffé par la gêne « on est presque habitué maintenant... » Sa mère qui l’accompagne craint que les violences urbaines qui touchent le quartier durent plusieurs jours: « on verra si on peut quitter le quartier ce weekend » s’inquiète t-elle, évitant des projectiles qui arrivent au loin.

Des grenades, des tirs de mortier, des pierres et des bouteilles filent au-dessus des têtes dans une obscurité qui rend difficile leur appréhension. Confondant parfois les forces de l’ordre et les émeutiers, certains tirs tombent en direction des habitants, parfois pris en otage entre deux blocs d’immeuble, dans un obscur chaos. Bloqués dans des coursives d’immeuble dans la crainte, d’autres veulent se réfugier dans un hall: « vous n’avez pas le badge ? » nous demande une jeune femme.

Parole poudrière 

Dans ce quartier où les cultures s’entrechoquent, les habitants qui suivent la centaine d’émeutiers, ont tous en commun la haine; les uns envers ceux qui cassent, les autres envers la police qui détruit des vies. Etouvie est devenue une poudrière. Ici, tout le monde le sait.

Derrière la médiathèque qui a été en partie brulée la veille, les habitants s’amassent au pied des tours; certains tentent d’éloigner leur voiture, trop tard. D’autres regardent du coin de l’œil ce que font « les jeunes. » L’incertitude du moment rend méfiant n’importe qui: « ce sont des gamins, ils ne se savent même pas pourquoi ils font ça parfois.. c’est comme dans GTA pour certains » glisse « un ancien. » A 37 ans, il a toujours connu le quartier, il l’a vu dépérir et les commerces du quartier se fermer. L’abandon mais surtout la stigmatisation, le vertige aussi de constater que la valeur des vies dans ce pays n’est guère à la hauteur de ses devises d’égalité et de fraternité. A travers la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre, c’est tout un vécu collectif qui resurgit, un vécu de stigmatisations, de doutes et de suspicions quotidiennes des forces de l’ordre.

De ces délits de faciès et de ces contrôles d’identité à répétition « parfois c’est plusieurs fois par semaine » on ressort un jour la rage au ventre. La faim et les frustrations font le reste.

Mais en buvant un dernier thé à la menthe et en fumant une cigarette dans un goulot d’immeubles, un peu à l’abri; les langues se délient. « C’est aussi les médias qui donnent uniquement l’information de la Police qui excitent nos quartiers et ça arrange bien pour nous accuser. » Citant son propre cas avec un journal local en nous donnant les initiales d’un journaliste qui avait relayé uniquement la version policière d’une plainte dont il avait fait l’objet, l’amertume est palpable et tenace.

La rage des parqués 

Entre minuit et 1hoo, les affrontements avec les forces de l’ordre finissent par redoubler de violences. Parfois alcoolisés ou sous l’emprise de dopants en tout genre, désinhibés: la rage est souvent aveugle. Des tirs partent en direction des fenêtres des appartements, des poubelles brûlent, des voitures et des scooters sont incendiés.

Les forces de l’ordre très en retrait et bien moins nombreuses que les émeutiers répliquent malgré l’activité au quartier Sud-Est et à Amiens Nord au même moment, tentant de repousser les uns en se faisant attaquer par d’autres. Parmi les émeutiers, des mineurs mais aussi des personnes plus âgées dépassent la trentaine.

Aux alentours de 2h00, les violences ne faiblissant pas, certains portant des armes de type revolver finissent par donner un premier coup en l’air sonnant là, le chaos à son paroxysme.

Des habitants plus loin angoissant pour leur voiture, parient sur la volonté du voisin qui sortira son fusil de chasse « s’il faut » pour protéger la sienne dans ce quartier excentré, où la circulation des bus a été coupée partiellement suite à la première nuit d’émeutes. Les heures paraissent des secondes malgré des affrontements sporadiques les dégradations se poursuivent, des locaux dégradés et un tabac aurait été pillé.

A l’extérieur d’Etouvie, les pompiers attendent la sécurisation du quartier alors que les tirs fusent encore de part et d’autre rendant des axes entiers impossibles à emprunter. La haine, la peur et la colère incrustées jusque dans l’asphalte.

Peu avant 5h00, les forces de l’ordre avaient progressivement quitté l’avenue de la Commune de Paris, laissant derrière elles un quartier marqué par ces heurts exceptionnels pour la seconde nuit consécutive.

Ailleurs dans l’agglomération, les écoles Jacques Prévert et Michel-Ange ont été pour l’une dégradée et pour l’autre incendiée entrainant leur fermeture temporaire. Au nord de nombreux dégâts sont à déplorer, un tabac a été partiellement brûlé, un camion a été volé et incendié, d’autres engins de chantier et des locaux ont également été détruits.