Mardi matin, le Courrier picard relayait les propos du père de Jean-Baptiste Trogneux. Le petit-neveu de Brigitte Macron, gérant d’une des boutiques familiales à Amiens, aurait été agressé d’après son père. Pourtant, un témoin proche des trois personnes placées en détention provisoire, affirme qu’il s’agirait davantage d’une altercation avec le trentenaire suite à des gênes provoquées par le rassemblement lundi soir, quelques heures après l’intervention télévisuelle du président. Une personne sur place aurait filmé la totalité de la scène et son téléphone aurait été saisi par la police lors de la garde à vue.

Amiens, lors des manifestations contre la réforme des retraites, mars 2023. ©CF

« Il était 22 heures. Jean-Baptiste est rentré à la boutique (il vivrait au-dessus actuellement NDLR) quand ils lui sont tombés dessus, précise le père de Jean-Baptiste. Il a reçu des coups de poing, des coups de pied. Il s’est mis en boule pour se protéger mais il a des blessures à la tête au visage au genou et à un doigt. »

Pour Jean-Alexandre Trogneux, le père, la situation ne fait aucun doute : « Une dizaine de personnes se sont dirigées vers notre boutique du centre-ville d’Amiens après la prise de parole du président à la télévision. Ils faisaient partie d’un groupe de manifestants qui se rassemblent régulièrement devant l’hôtel de ville » confie t-il sans hésitation au journal.

Âgés de 20, 22 et 34 ans, les trois prévenus devaient initialement être jugés à Amiens en comparution immédiate, notamment pour violences en réunion, mais leurs avocats ont demandé plus de temps pour assurer leur défense. Le président du tribunal a prononcé un mandat de dépôt à leur encontre en raison «du risque de réitération des faits» et le procès est renvoyé au 5 juin.

En effet, parmi les interpellés plusieurs ont récemment connu des condamnations; « ils doivent être pris en charge et aidés« , glisse t-on parmi les proches.

Une adolescente de 16 ans, également poursuivie, doit être jugée par un juge des enfants «d’ici quelques mois » selon son avocat, Me Marc Blondet.

Agression ou altercation ?

Ils auraient agi en situation de « légitime défense », affirme Jimmy Lelièvre, l’un des gardés à vue qui détaille la scène « deux poubelles devant l’entrée du magasin. Jean-Baptiste Trogneux est descendu. Il a plaqué un camarade au sol. Mon camarade s’est relevé et lui a mis des coups. Je l’ai ceinturé pour que ça n’aille pas plus loin. »

Une version que l’avocat de Jean-Baptiste Trogneux, Franck Delahousse « conteste formellement. Il a voulu défendre la vitrine de son magasin, déjà visée à plusieurs reprises » relaie le Courrier picard. « Il doit une partie de son salut à un voisin courageux, qui a clairement témoigné » qu’il n’était pas « à l’origine de cette agression », a insisté l’avocat.

« Ils ont tout filmé »

Du côté des Gilets Jaunes, groupe proche de certains interpellés, on tient à clarifier la situation: pour plusieurs membres, les accusations de dégradation récurrentes de la famille Trogneux sont totalement infondées: « Jamais je n’ai vu ça en quatre ans de Gilets jaunes ! Jamais on s’en serait pris physiquement à un commerçant et dire que les Gilets jaunes ont dégradé sa boutique dans le passé, c’est totalement faux ! » martèle Mélanie, des Réfractaires du 80.

Jamais, je n’ai vu ça en quatre ans de Gilets jaunes !

Alors qu’Hubert de Jenlis, (LREM/Renaissance) adjoint à la Sécurité d’Amiens, assurait en milieu de semaine que les images de vidéosurveillance avaient été transmises à la Police nationale, aucune vidéo n’a pour l’heure était rendue publique. « Ils ont tout filmé avec un téléphone mais il a été saisi lors de la garde à vue » précise une source proche de l’un des interpellés.

Amiens, lors des manifestations contre la réforme des retraites, mars 2023. ©CF

Des réactions politiques fulgurantes malgré des zones d’ombre

Difficile dans un tel contexte de prendre position. Un manque d’information qui n’a pas empêché la classe politique de réagir dans la journée de mardi; toute prête à insulter, se faire juge, défense et partie civile à la fois, dans son océan de jacasseries dans lequel elle finira surement par se noyer.

Brigitte Fouré, la maire (UDI) d’Amiens a condamné ces actes et a rappelé auprès de France bleu Picardie que rien ne pouvait justifier la violence : « on a le droit de penser ce que l’on veut, nous sommes en démocratie, mais en revanche, on n’a pas le droit d’utiliser la violence contre des personnes. »

Le député de la Somme, François Ruffin (Picardie debout), a rappelé « qu’on ne pouvait pas répliquer à la violence de Macron par la violence physique« , condamnant les faits et rappelant qu’il offrait toujours « des macarons Trogneux aux politiques en visite à Amiens. »

Pour d’autres, à l’instar de Laurent Beuvain, conseiller départemental PCF de la Somme « la vitrine professionnelle et le nom Trogneux sont devenus pour des excités, des abrutis et des enragés un totem à casser et à violenter pour éprouver leur haine. »

La boutique Trogneux prise pour cible ? Une version un peu simpliste que démentent les membres de la Batucada (absents lors du rassemblement le lundi des faits), heurtés par les confusions et les amalgames. Habitués à chanter devant le commerce amiénois lors des grandes manifestations, plusieurs d’entre eux tiennent à clarifier la situation et rappellent que l’initiative a toujours été symbolique. Dans un portrait à paraitre dans quelques jours sur Amiénois-e.frSandra revenait -bien avant les faits survenus lundi soir- sur cette dimension, lors de la mobilisation contre la réforme des retraites: « nous, notre plaisir c’est de venir chanter ‘anticapitaliste’ devant Trogneux, ça s’arrête là, cette présence policière à chaque manifestation, elle est totalement disproportionnée. »

« Depuis 4 ans, sur la protection des boutiques par la BAC et les CRS et la natio casquée, c’est très violent et cela entraîne de la violence » s’attriste de son côté Mélanie, également membre du collectif, face à l’affaire Trogneux.

Privés d’images montrant les faits, les Amiénois à la merci de théories fumeuses

Et quelle affaire. Elle était dans toutes les conversations cette semaine. Ce mercredi encore, Sandrine et sa collègue, caissières dans un supermarché de quartier populaire, n’y allaient pas de main morte: « Il est marrant le type du Courrier picard, nous quand on se fait agresser et qu’on réplique, on ne fait pas un article sur nous. »

Alors que les vidéos du témoin et des caméras publiques de la ville montrant les faits restent inaccessibles, la webcam de ‘Vision environnement’ qui diffusait en direct sur Youtube, 24h/24h, depuis la place de l’hôtel de ville et le prolongement de la rue piétonne, a cessé d’émettre la vidéo surveillance il y a quelques semaines.

Entre sentiments d’injustice de traitement et de réaction face à des faits dont on ignore exactement les contours et dont la tendance médiatique privilégie le lien familial de Jean-Baptiste Trogneux et d’Emmanuel Macron, pitié face à des agresseurs présumés aux profils visiblement en difficulté et des interpellés qui n’hésitent pas à faire le récit des violences sur un plateau télé, et tentation de croire à une agression ou une altercation dans un contexte alcoolisé; personne ne ressort grandi de l’affaire Trogneux, mise à part peut-être la suspicion des uns et des autres dans un contexte cacophonique qui méprise volontiers la précision et les détails pour renforcer l’effet.

Mais quel effet ? Sur TikTok et d’autres réseaux sociaux, les théories fumeuses vont bon train et des internautes n’hésitent plus à faire circuler des « témoignages » appelant à la libération des présumés coupables de l’agression, rapportée par le père de Jean-Baptiste Trogneux.

Autant d’agitation qui participe à déformer les faits et instiller un climat de confusion générale sur l’affaire.

DT