Alors que plusieurs ministres étaient en visite sur « le terrain » , poussés par le Président, les membres de l’exécutif ont dû faire face presque systématiquement à un « comité d’accueil » formé de manifestants contre la réforme des retraites et la politique du gouvernement. Face au chahut des opposants, certains ministres ont annulé leur visite.

Vendredi, à Nesle, dans la Somme, C.Béchu et B.Le Maire étaient en visite dans une entreprise de transformation d’insectes qui vient de faire une extension, entre cinquante et une centaine de manifestants étaient présents toute la matinée. Craintifs, les ministres ne se sont à aucun moment montrés face aux manifestants retenus par des CRS et gendarmes tout aussi nombreux qu’eux.

A Nesle, dans la Somme, le ministre des Finances, Bruno Le Maire et celui de l’Ecologie Christophe Béchu, ont été accueillis, vendredi, sous les chants, les huées et les casseroles mais ont pu visiter l’extension d’une usine, surprotégés derrière les forces de l’ordre, sans jamais croiser un seul citoyen.

A La Baule, en Loire-Atlantique, Olivia Grégoire, ministre des PME et du tourisme, a dû annuler plusieurs de ses visites: « à la demande du gérant, pour des raisons de sécurité de sa part » d’après l’entourage de la ministre, rapporte Le Monde. 

A Châteauroux, la Première ministre a été accueillie par les manifestants contre la politique du gouvernement au son des casseroles, sifflets et scandant « Borne dégage. »

En Seine-Saint-Denis, le ministre de la Santé, François Braun a lui aussi été chahuté. Selon une source policière rapportée par l’Agence France-Presse, à Montreuil, « près de 200 manifestants ont bloqué l’accès principal du site » , forçant le ministre à rentrer « par un autre accès » . Des manifestants ont tenté de pénétrer dans l’enceinte du centre de santé, visité vendredi 21 avril par le ministre, avant d’être repoussés dans une bousculade par des policiers qui ont fait usage de gaz lacrymogène. Une personne aurait « été interpellée (pour) une rébellion » d’après une source policière citée par l’AFP. 

Plus que jamais, même sur « le terrain » , le gouvernement semble isolé et coupé du monde, reclus derrière les forces de l’ordre. Si la majorité tente de faire bonne figure, la fébrilité est palpable dans les rangs macronistes: « C’est pas des bruits de casseroles qui m’empêcheront de continuer à travailler, à avancer » avait tenté le ministre de la Santé suite au chahut de vendredi. Il s’est fait une nouvelle fois huer et protéger par les CRS, ce lundi, au CHU de Poitiers.

A Lyon, Pap Ndiaye, le ministre de l’Education nationale était attendu ce lundi. Il a annulé sa visite au dernier moment « pour cause d’insécurité » et l’a décalée au rectorat de l’académie car des manifestants ont pénétré dans le centre de formation des enseignants, lieu initial de la visite. Plus tard, de retour en Gare de Lyon,  il a du être exfiltré face aux manifestants munis de leur casserole.

Un gouvernement qui se cache des manifestants qui font face

Du côté des contestataires, la détermination est toujours là. Malgré des hauts et des bas depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, la majorité des opposants s’est faite à l’idée d’une lutte qui s’inscrit dans la durée. Entre « casserolades » et « comités de non-accueil » des ministres au président, la contestation se réinvente chaque jour remobilisant un peu plus les collectifs d’opposants.

Vendredi, lors du trajet pour accueillir Christophe Béchu et Bruno Le Maire à Nesle, les manifestants, habitués aux grèves et blocages réguliers depuis plusieurs mois, semblaient malgré tout surmotivés de bon matin. Ici, pas de lassitude. Partie d’Amiens vers 7h00 et profitant de la route pour peaufiner les slogans et le spectacle contestataire, l’équipe de syndicalistes Solidaires que nous avons suivie lors du « comité de non accueil » des deux ministres, débordait d’énergie dès l’aube.

Dans la voiture, certains ont hésité à ramener des casseroles par peur qu’on leur confisque et ont opté pour de petites clochettes, ça parle sifflets et même excitation face à l’action tout proche: « J’ai l’impression d’aller à Disneyland » glisse l’un d’eux. Pour Rémi Baudry aussi, l’énergie qui se dégage de la mobilisation le porte et pousse à agir collectivement: « moi, j’ai toujours l’énergie malgré tout, parce qu’en fait, il y a toujours quelque chose qui se passe, et c’est toujours quelque chose qui te remotive, je crois que ce qui démotive, c’est de faire grève et pas faire les actions à côté, ou sans se mettre en collectif ou en mouvement ensemble. »

Pour les manifestants qui font face à un exécutif qui tente de balayer le sujet brutalement et avec embarrassement, « ces comités de non-accueil » sont surtout un moyen « d’imposer son agenda politique, précise de son côté Léo Soissons, de ne pas se laisser faire par Macron qui avait décidé que c’était terminé, aujourd’hui c’est pas eux qui décident du calendrier politique c’est nous qui reprenons la main dessus […] ce qui est quand même pas mal. » 

Par effet miroir, face à la décomposition de la démocratie, « pourrir » l’agenda politique des revendications populaires et majoritaires contre la réforme des retraites semble être la seule option possible pour les manifestants. Alors que l’intersyndicale promet une « marée humaine » le 1er mai, le rythme des actions et les scènes des ministres du gouvernement « sur le terrain » tantôt s’enfuyant, tantôt annulant leur venue ou se cachant derrière des militaires ou policiers, continuent de fédérer les opposants à la réforme, consommant ainsi un peu plus la fracture avec un gouvernement replié sur lui-même et coupé du réel.

DT