Fin février, la direction diocésaine de l’enseignement catholique de la Somme annonce soudainement la fermeture d’une école privée dans un quartier populaire de la banlieue d’Amiens. Le scandale est prêt; “Transformée en dépotoir par les habitants du quartier, une école catholique privée ferme” Cinq jours plus tard le procureur d’Amiens officialise l’ouverture d’une enquête pour “mise en danger”. Si le soulagement est de mise, l’initiative reste tardive et confuse pour l’établissement qui n’avait de toute façon, dès la rentrée 2020, “pas un euro pour l’avenir de l’école”. Récit d’un emballement médiatique.

L’école privée Monseigneur Cuminal se situe en bas à gauche de cette immeuble, au bout du trottoir, en dessous d’une quinzaine d’étages.

Le 16 février 2021, les parents d’élèves de l’école privée Monseigneur Cuminal reçoivent un simple courriel les informant de la fermeture définitive de l’établissement d’ici la fin de l’année. En 3 jours, l’affaire fait mouche et le collectif sent qu’on lui vole son combat et la possibilité de se battre pour préserver l’école qui dispose d’une classe ULIS. Synonyme pour eux d’une bonne image du “vivre ensemble”, sauver l’établissement et trouver une solution pour les élèves est la priorité des parents. “Et dire qu’il y a deux mois à peine on apprenait un possible déménagement route d’Abbeville” glisse Karima El Meftah, l’une des parents d’élèves.

Située aux pieds d’une barre d’immeuble de 13 étages, la bâtisse de l’école privée Monseigneur Cuminal jouxte celle des Coursives, une galerie marchande en plein déclin où les commerces se vident et les charges augmentent pour ceux qui restent. L’architecture de ce quartier sent la France des grands ensembles, celle des années 1970, abandonnée parfois à son triste sort, délaissée pour son urbanisme daté. Etouvie est un quartier bordé par les champs et les usines. Cerné, concentré dans son artère principale de barres HLM aux fenêtres étriquées, le paysage est familier et rappelle le nord parisien. Ce quartier-là dispose de quelques équipements récents dont l’école publique à quelques centaines de mètres de Monseigneur Cuminal. 

La configuration du quartier est loin d’être idéale pour l’école privée.

Cette école privée fait face depuis de nombreuses années à des incivilités en tout genre d’après la direction. Le 19 février dernier, Sylvie Seillier,  la directrice diocésaine de l’enseignement catholique de la Somme, se fend d’un communiqué annonçant la fermeture de l’école privée catholique dans le quartier populaire d’Etouvie, à l’ouest d’Amiens.“des jets de matériel ménager à la bouteille de Whisky en passant par des agressions et trafics”, la liste dressée par la direction de l’école et les responsables locaux fait froid dans le dos. D’après l’école, cette rentrée 2020 fut bien différente, la violence s’est accélérée ce qui aurait précipité la fermeture de l’établissement privé, soudainement fixée en juin 2021. 

Les poubelles sont bien à leur place mais s’amoncellent encore ce vendredi 5 mars, devant l’entrée de l’école.

L’affaire qui fait pschitt

Les médias reprennent à cœur joie le communiqué de presse publié par la direction de l’école: “Amiens : envahie par les déchets des riverains, une école catholique doit fermer” ou  Poubelles, canettes et téléviseur balancés dans la cour: une école obligée de fermer définitivement à Amiens

On a l’espoir en ouvrant le lien de ne lire qu’un titre tapageur plutôt qu’une véritable information: grosse déception.

Quelques jours plus tard, un dépôt de plainte de l’école est enregistré et le parquet annonce dans la foulée, le 25 février, l’ouverture d’une enquête judiciaire dans le cadre des jets de détritus pour “mise en danger” d’autrui.  

“Rétablir la vérité”

Les jets de détritus par les fenêtres des immeubles et la fermeture d’une école privée dans un quartier populaire multicommunautaire, tout est réuni pour faire pschitt. Les deux affaires s’entrecoupent pour finir en un seul scandale un brin simpliste. Il arrive à point nommé et fait la joie des extrémistes communautaires et commentateurs pernicieux qui ne s’étouffent pas de leur mauvaise foi et de la méconnaissance du quartier pour en dresser un portrait bien éloigné de la réalité. Une situation que dénoncent les parents d’élèves de l’école qui souhaitent se battre pour sa sauvegarde et pointent du doigt des récits journalistiques faisant état d’une “réalité tronquée qui qualifie (le) quartier d’Etouvie de « sauvage » où le bien vivre ensemble n’existerait pas.” Ce groupe de parents s’insurge  contre les “images et lignes éditoriales malhonnêtes” et presse la direction de l’école de s’exprimer afin de “rétablir la vérité sur ce sujet et y défendre le vivre ensemble auquel” il est attaché. Karima El Meftah, l’une des responsables du collectif, nous confie: “on veut rétablir la vérité, on lit les commentaires sous ses articles, on a l’impression que les familles catholiques ne seraient pas accueillantes ou bien l’inverse ! »

« Vous savez, en tant que musulmane qui côtoie des croyants, des athées, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes, ce sont nos convictions, nos partages que l’on a ensemble qui ont été saccagés dans cette histoire »

 

Entrée de l’école Monseigneur Cuminal, à Etouvie, aux pieds des Coursives.

« On m’a appelée d’un peu partout en France pour me dire mais “c’est ici que tu mets tes enfants à l’école ?” le regard des gens a été dur pour nous et nos proches.

Même son de cloche du côté de la SIP,  bailleur social du quartier, qui s’empresse de condamner auprès du Courrier picarddes amalgames douteux et nauséabonds” véhiculés par certains médias nationaux relayant “une image du quartier qui ne correspond pas à la réalité”. “C’est incroyable de constater autant de mauvaise foi” nous précise de son côté, Clément Stengel, maire-adjoint au secteur ouest d’Amiens. “Avec Brigitte Fouré, (la maire de la ville), nous œuvrons depuis l’an dernier pour trouver une solution pour permettre à l’école Monseigneur Cuminal de rester dans le quartier.

 

“Pas un euro pour l’avenir de l’école”

L’établissement privé de 82 élèves doit affronter depuis plusieurs années une baisse des effectifs. A cela s’ajoute un emplacement peu commode pour une école payante surplombée d’une quinzaine d’étages et faisant face aux vides ordures de la résidence. Les élus locaux sont conscients du problème et le maire-adjoint du secteur n’hésite pas à qualifier la “situation de l’école privée digne d’un établissement REP+ de banlieue parisienne. Pourtant, dès septembre et octobre, on était prêt à leur faire une fleur, à racheter les m2 de l’école à un bon prix pour faciliter leur réinstallation ailleurs, on avait de belles perspectives à leur offrir mais on nous a répondu qu’il n’y avait pas un euro pour l’avenir de l’école« , se souvient l’élu UDI.

L’école Monseigneur Cuminal, à Etouvie, dans la banlieue ouest d’Amiens.

Question de méthode ?

L’école privée d’Etouvie, annexe de l’école St-Jean à Amiens, indépendamment des incivilités auxquelles elle doit faire face, est en souffrance budgétaire. Détail omis dans le communiqué de la direction qui a provoqué la polémique. Une situation que dénonce volontiers le maire-adjoint qui tient à rappeler un problème de communication et de méthode “Au mois de décembre, l’enseignement diocésain nous a informés que c’était compliqué d’investir pour eux à Etouvie. Lors de (l’annonce de) la fermeture à aucun moment on évoque les problèmes financiers !” Pour l’élu de secteur la démarche des différents acteurs n’est pas claire et souffre de nombreuses omissions: “on ne peut pas nier certaines incivilités mais il faut adopter une démarche plus pédagogique et surtout porter plainte au bon moment, si vous ne déposez pas plainte pour dénoncer une incivilité, à aucun moment les forces de l’ordre peuvent intervenir et ça (les responsables de l’école) ils ne l’ont pas fait.En tant que parents d’élèves, jamais on nous a expliqué que les enfants étaient en danger[…]si l’école ferme pour des problèmes d’argent, qu’on nous le dise une bonne fois pour toutes!” surenchérit l’une des membres du collectif.  

Amalgames et omissions font de l’affaire un petit tourbillon, l’adjoint au maire n’en démord pas, son secteur est loin d’être une zone de non-droit : “il faut simplement davantage de dialogue, aller vers les gens, les comprendre, on doit faire cet effort là, aller à leur rencontre”, conclut-il. Ce vendredi soir-là, il est pressé, un brin fier de glisser l’air de rien qu’il doit recevoir les parents d’élèves, convaincu d’être à l’écoute et sur le terrain, là où on ne l’attendait pas, à la recherche de solution et de dialogue.