Officialisée le 23 août, la panthéonisation de Joséphine Baker s’est tenue ce 30 novembre. Artiste aux multiples facettes, antiraciste, noire et bisexuelle c’est la 6e femme et la 1re femme noire d’origines américaines à rentrer dans le sanctuaire français.

Joséphine Baker, en 1960

Meneuse de revues, espionne, militante antiraciste, Joséphine Baker (1906/1975) est une figure marquante de la Résistance. Sur 80 figures historiques, c’est la 6e femme à rentrer dans le temple républicain.

Et si Sophie Berthelot, Marie Curie, Germaine Tillion, Germaine de Gaulle-Anthonioz et Simone Veil l’ont précédée, la panthéonisation de Joséphine Baker est un symbole qui fait consensus mais révèle à la fois une ambiguïté.

La célèbre meneuse de revues est également la première artiste de scène à faire son entrée au Panthéon. Un symbole qui renvoie toutefois à des contradictions selon la journaliste et documentariste de la « Parisienne démystifiée« , Rokhaya Diallo. « Le nom de Joséphine Baker convoque en moi des sentiments contradictoires.

Admirative de la résistante héroïque, la femme noire que je suis a toujours été embarrassée par l’image de son corps présenté comme exotique

[…] Originaire des contrées caricaturées dans ces spectacles, je mesure à quel point ce regard empreint de fascination a façonné l’image de « la » femme noire, indocile et féline, que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les magazines de papier glacé. Un regard qui semble me poursuivre par-delà les siècles. Comment oublier l’attention malsaine ayant accueilli Rama Yade, la première femme noire ayant accédé à une position gouvernementale ? Dans le droit fil historique des clichés racistes, celle qui était diplômée de Sciences Po a été dépeinte par les médias (et je vous livre leurs termes tels quels) comme « la belle Rama », « perle noire de Sarko », « noire, très noire, belle, très belle », une femme « physique, instinctive ».

Si la panthéonisation de Joséphine Baker fait consensus, le symbole n’est pas sans ambiguïtés. Emmanuel Macron, en équilibriste,  l’a par ailleurs préféré à d’autres grandes figures historiques tout aussi dignes de rentrer au Panthéon mais marquées plus à gauche comme l’expliquait en aout dernier le journaliste Antoine Perraud dans Mediapart: « À l’intransigeante et irrécupérable Gisèle Halimi, encore fraîche dans les mémoires pour son engagement anticolonial radical, sera substituée Joséphine Baker. Celle-ci n’eut d’abord que son corps à offrir, à des yeux occidentaux qui prirent, les premiers temps, cette future icône des révoltes logiques pour la continuation du « Y’a bon Banania » par d’autres moyens. »

Une préférence qui révèle pour le journaliste une certaine image de la France (et de la femme noire) volontairement cultivée par le président et le candidat Macron: « Une telle vision archaïque mais ancrée dans une France empêtrée dans son legs colonial, permet au président Macron de désamorcer la bombe Gisèle Halimi en la remplaçant par une Joséphine Baker encore perçue en Princesse Tam Tam. C’est-à-dire comme un faire-valoir de la civilisation occidentale hautement policée, réservée, sur son quant-à-soi, face au corps noir frénétique, forcené, endiablé. » 

Une idée qui ne date pas d’hier

Si la panthéonisation de Joséphine Baker intervient au terme du quinquennat d’Emmanuel Macron, l’idée avait déjà été portée par Régis Debray en 2013. « Cette femme, noire, américaine, libertaire et Résistante pourrait mettre de la turbulence et du soleil dans cette crypte froide » écrivait le philosophe à l’époque dans Le Monde. Près de 8 ans plus tard, Emmanuel Macron aura fini par exaucer le vœu de Régis Debray qui porte pour certain-es  à la fois le consensus et le déséquilibre d’une figure emblématique.