Alors que le président du Sénégal, Macky Sall (APR /centre libéral) a l’intention de briguer un troisième mandat en 2024 alors qu’il avait pris l’engagement de limiter à deux mandats la responsabilité présidentielle, le principal opposant, Ousmane Sonko, a été reconnu coupable « de corruption de la jeunesse » , ce jeudi, à Dakar.  Un verdict « fallacieux » selon ses sympathisants du PASTEF (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité/gauche) qui a provoqué des heurts avec les forces de l’ordre et plus de seize morts; une situation de violence quasi inédite au pays de la teranga.

De Dakar, de Ziguinchor, de Bruxelles ou d’Amiens, Mamadou S., Ali T., Dame D. et Lamine D. tous quatre sénégalais, sont convaincus d’une véritable instrumentalisation de la justice pour empêcher Ousmane Sonko de se présenter à la présidentielle: « Si Sonko n’est pas candidat, il n’y aura pas d’élection démocratique au Sénégal » nous confie l’un d’entre eux, inquiet face à ce péril pour la démocratie sénégalaise.

La condamnation d’Ousmane Sonko (PASTEF), figure d’espoir pour la jeunesse sénégalaise et principal opposant de l’actuel président, a déclenché des heurts au Sénégal. Des violences rarissimes qui ont fait entre 16 et 20 morts selon les sources depuis jeudi. © DR

Pour Dame, à Dakar, la situation est limpide: « je retiens que ce procès est une cérémonie de la grosse farce […] c’est pas logique et la jeunesse doit être consciente, on l’a juste condamné sur une ‘corruption de la jeunesse’. »

D’abord accusé de viol, Ousmane Sonko, a finalement été jugé coupable de « corruption de la jeunesse« , un verdict tombé ce jeudi et qui marque pour beaucoup de sénégalais une volonté claire d’atteindre le premier opposant de Macky Sall.

« Ce procès est une cérémonie de la grosse farce »

Dame D., Dakar

Acquitté concernant les accusations de viol d’Adji Sarr, qui avait porté plainte contre lui, Ousmane Sonko a été condamné ce jeudi 1er juin à deux ans de prison ferme et à 600 000 F CFA d’amende par la chambre criminelle du tribunal de Dakar. Une condamnation qui risque de le rendre inéligible pour le scrutin présidentiel de février 2024.

La propriétaire du salon de massage, a été condamnée à la même peine pour « incitation à la débauche. » Tous deux sont condamnés en plus à 20 millions F CFA de dommages et intérêts, somme qu’ils devront verser à Adji Sarr.

« C’est un complot politique contre lui; Sonko ne badine pas. S’il prend le pouvoir, beaucoup de têtes corrompues du gouvernement vont tomber. Macky Sall le sait bien. »

Lamine D., Amiens

Ali, lui, est plus nuancé. Rentré il y a quelques semaines de Ziguinchor -principale ville au sud du pays dont Ousmane Sonko est maire-, il regarde les rues de Dakar avec inquiétude: « Je suis d’accord avec Sonko mais aujourd’hui il y a trop de morts […] ils ont détruit beaucoup de choses et volé » nuance t-il, oscillant entre désir de voir la jeunesse prendre son destin en main et peur pour son pays d’habitude si paisible.

« Si Sonko n’est pas candidat, il n’y aura pas d’élection démocratique au Sénégal »

Mamadou S., Bruxelles

« Cette fois, les jeunes n’arrêteront pas, ils vont continuer les manifestations ! » lâche Mamadou S.. « La seule solution pour Sonko c’est le peuple et aujourd’hui le peuple le soutient massivement. » Candidat à la dernière élection présidentielle, Ousmane Sonko avait échoué au profit de Macky Sall., un échec qui a galvanisé une jeunesse laissée pour compte, soucieuse de probité, d’éthique et de fraternité et qui n’entend plus se faire spolier les richesses du pays.

Suspendu à son téléphone et aux images qui nous parviennent de Dakar, le trentenaire, installé à Bruxelles, s’inquiète de voir une telle atteinte à la démocratie sénégalaise: « Je te dis, entends moi bien, si Sonko n’est pas candidat, il n’y aura pas d’élection démocratique au Sénégal, ça sera avec les militaires, ça n’aura rien de démocratique ! » s’insurge t-il.

Alors que jeudi, les heurts ont éclaté, le gouvernement n’a pas hésité à couper les réseaux sociaux, renforçant les inquiétudes pour la diaspora sénégalaise. « Quel pays fait ça ? Quel genre de pays ? Et quel président de la République tire à balles réelles sur son peuple ? Quel genre de président dit qu’il ne se représentera pas si on lui demande gentiment ? Gentiment ? Est-ce encore un président ? » confie Lamine D.

Les chefs religieux peuvent-ils raisonner le président sénégalais ?

Depuis le milieu du week-end une accalmie en trompe-l’œil était perceptible dans les rues dakaroises, beaucoup de sénégalais comptent désormais sur les chefs religieux du pays pour faire entendre raison au président de la République du Sénégal. Macky Sall s’est entretenu à Touba avec le khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, ce lundi soir.

Des audiences avec les dignitaires religieux du pays sur lesquelles les sénégalais placent beaucoup d’espoir pour apaiser une situation de violence inédite pour les jeunes générations: « Si Macky Sall n’écoute plus le peuple, il n’y a que les chefs religieux qui peuvent faire quelque chose » espère Lamine D.

D’Amiens, Lamine se sent bien impuissant comme beaucoup d’autres membres de la diaspora: « la seule chose que je puisse faire c’est de montrer ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux, si je pouvais, j’irais les aider, je serais dans la rue avec eux […] nous, nous sommes une génération chanceuse, nous n’avons pas connu de telles violences au Sénégal, aujourd’hui les jeunes ne peuvent plus reculer face au mépris et à l’arrogance de Macky Sall. »

A Dakar, capitale du Sénégal. Archive 2018 / DT

« Macron c’est le poing armé de Macky Sall – ou l’inverse »

Si les heurts qui ont éclaté dès jeudi à Dakar et Ziguinchor s’expliquent en partie par la condamnation d’Ousmane Sonko, derrière Macky Sall se cache aussi une certaine vision des liens diplomatiques entre le Sénégal et la France: « Au Sénégal, on dit que Macron c’est le point armé de Macky Sall – ou l’inverse » glisse Mamadou S.

Alors qu’Emmanuel Macron ne cesse de venter un dialogue renouvelé entre les deux pays, « moins asymétrique« , les vies emportées par les heurts qui ont éclaté ces derniers jours semblent apparaitre comme des dommages collatéraux où la nov-langue des politiques parait bien incapable de nommer la réalité et devient complice des crimes qu’elles n’osent plus nommer. « Comment expliquer le recours à des nervis ? Jamais, je n’aurais pensé qu’un chef d’Etat du Sénégal laisse les forces de l’ordre tirer à balles réelles. »

« J’ai peur et j’ai honte pour mon pays »

Lamine D. Amiens

De Dakar à Paris, la pratique du pouvoir des deux hommes politiques comporte bien des ressemblances « Macky Sall est arrogant et méprisant envers son peuple » nous répètent Mamadou et Lamine. Des termes similaires régulièrement utilisés pour décrire la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron.

Parmi les milieux intellectuels sénégalais où Sonko est très populaire, on reste persuadé que « cette situation était inévitable » et « cela nous rappelle aussi l’histoire de l’indépendance du Sénégal, déjà au temps de Senghor, (en 1963) son opposant Mamadou Dia et quatre de ses ministres avaient été mis en prison parce qu’ils défendaient une autre forme de décolonisation. »

Un versant moins connu de l’histoire du pays que bon nombre de sénégalais sont pourtant prêts à ne pas répéter, quoiqu’il en coûte.

DT