[Info Amiénois-e.fr] En juin dernier le réseau TER des Hauts-de-France ouvrait une école de conducteurs de train en partenariat avec l’Université de Picardie Jules Verne, à Amiens. Après des semaines d’errance, la dizaine de jeunes motivés sélectionnés pour cette rentrée de septembre ont vu l’école fermer et leur avenir soudainement chamboulé alors que quelque 65 conducteurs de train manquent dans la région.

 

Mathieu*, sa famille mais aussi l’Université de Picardie nous ont livré des témoignages qui accablent la gestion de la SNCF Voyageurs et celle des Hauts-de-France.

Le 14 septembre, la SNCF Voyageurs a fermé soudainement une école de conducteurs de train à Amiens, laissant des jeunes dans l’incompréhension et parfois sans réponse quant à leur avenir alors qu’il manque quelque 65 conducteurs dans les Hauts-de-France pour faire fonctionner le réseau ferroviaire. © Amiénois-e.fr/DT

Fin juin, quand Mathieu* découvre qu’il va pouvoir passer un entretien pour intégrer l’école de conducteurs de train, un diplôme universitaire fraichement créé à Amiens en partenariat avec l’Université, pour sa mère, Constance*, c’est un soulagement : « Vous savez, Mathieu*, est un garçon timide et réservé, il cherchait un métier qui lui corresponde et quand il a découvert cette formation il s’est lancé dedans, c’était tout trouvé pour lui » .

Tout jeune bachelier, Mathieu* a passé les entretiens « comme 7 autres candidats » le 11 juillet. Mais d’emblée, l’inscription à la formation en alternance était de mauvais augure: aucune communication écrite de la part de la SNCF et pour seule interlocutrice, l’Université de Picardie. La simple inscription à l’entretien qui devait permettre l’intégration à cette formation de conducteurs de train diplômante en alternance, a été pour le jeune samarien, tout un périple. « Rien que pour recevoir la convocation à l’oral, à Amiens, ça ne fonctionnait pas. Quand j’ai contacté la SNCF des Hauts-de-France pour avoir ma convocation, c’était comme si je n’existais pas. C’est l’Université qui a fini par m’indiquer ma date de passage. Ils me l’ont renvoyé deux semaines après, je l’ai reçue à la dernière minute » , se souvient le jeune homme.

Après avoir passé des tests écrits via Internet et obtenu sa convocation tant bien que mal, Mathieu* finit par passer ce fameux entretien; un peu fébrile mais déterminé.

Une famille bernée par la SNCF?

« On vous recontactera pour des examens médicaux, mais êtes vous disponible pour la fin de l’année car on risque de retarder la formation ?  » lui a t-on demandé au terme de cet entretien, se souvient sa mère. « J’ai toujours entendu mon fils dire je veux conduire des trains. Il s’est jeté dedans à corps perdu, on attendu toutes les vacances, on a relancé le maitre de conférence à la fac de sciences – lui n’avait pas de nouvelles de la SNCF et nous a encouragés à voir directement avec eux . Quand j’ai appelé la SNCF pour aider mon fils dans son projet professionnel, la plateforme de recrutement SNCF m’a répondu « écoutez je ne sais pas, ça n’est pas moi qui s’en occupe je vais voir avec une collègue » le lendemain on me rappelle et on me dit:

« On n’a pas de trace du dossier de votre fils, c’est surement qu’il n’a pas été pris »: là, j’ai commencé à prendre la mouche.

Constance*, la mère a soutenu son fils pendant plusieurs semaines dans ses méandres administratifs avec la SNCF HDF

« J’ai fini par leur répondre ‘D’accord mais envoyez nous un mail pour dire qu’il n’ a pas été pris’  » se souvient Constance*. « Plus de 15 jours passent, pas de mail, je finis par rappeler et on me répond:  « la personne qui s’occupe de ça est en arrêt maladie » puis je les ai eus une quatrième fois au téléphone en demandant toujours un écrit. Au 19 octobre, on ne savait toujours pas s’il avait été pris, quand, pourquoi, où ? Faut-il en conclure que la formation ne se fera pas ? je n’ai aucun écrit » déplore t-elle.

L’inscription pour Mathieu* a été tout un périple, malgré sa détermination, il n’a jamais eu de confirmation de la part de la SNCF de la bonne tenue de la formation, ni même s’il avait été accepté. © Amiénois-e.fr/DT

De son côté la direction régionale des Hauts-de-France de la SNCF Voyageurs nous confie qu’ « avant l’entrée en école, la sélection des candidats par l’UPJV prévoyait le passage des tests médicaux et psychologiques par les services SNCF. A l’issue, le 11 juillet dernier 7 candidats nous ont été présentés en entretien par l’UPJV. 5 ont été retenus à cette étape, et 2 non retenus. Ces 7 personnes ont été contactées dans les jours qui ont suivi par téléphone, par un collaborateur SNCF. Lors de la visite médicale d’aptitude et sécurité, 1 candidat a échoué et en a été informé le jour même par le centre d’aptitude. Les 4 candidats ayant validé l’ensemble des étapes du processus de recrutement intègrent la formation de conducteurs organisée par la SNCF, suite à l’annulation de la formation de l’UPJV. Cette formation débute le 14 novembre. »

Qu’est-il donc arrivé au dossier de Mathieu* ? D’autres dossiers comme le sien ont-ils pu passer sous les radars ? La direction régionale nous assure que le recrutement des conducteurs de train est un « sujet auquel nous accordons toute l’importance qu’il mérite » .

Une école fermée en toute discrétion, l’Université informée par un simple message

Informée suite à nos questions, la nouvelle laisse un goût amer à la famille. L’école à peine créée est officiellement abandonnée. Les explications données pour justifier une telle fermeture sont variables tantôt « faute de candidatures suffisamment nombreuses » tantôt suite à « une tension sur la ressource « conducteur » . L’Université de Picardie, elle, a été informée dans un simple message le 14 septembre, que le Diplôme Universitaire pour lequel des jeunes ont été recrutés n’ouvrirait finalement pas. Le revirement est brutal.

« Voici la réponse « officielle » faite par le collègue de la SNCF en charge du dossier « formation », le 14 septembre » nous rapporte l’UPJV. « Hier matin, à l’occasion de notre point DU, la Direction Régionale des Hauts-de-France nous a annoncé qu’elle ne souhaitait pas poursuivre l’expérimentation Diplôme Universitaire que nous menions. Les tensions sur la ressource « conducteur » l’orientent sur une méthode de formation classique et éprouvée. » Suite à la décision de la SNCF Voyageurs, l’UPJV se voit donc très vite obligée de fermer la filière en express.  « Malgré le travail mené conjointement avec la SNCF, nous n’avons pas pu mettre en œuvre cette formation. La SNCF n’a pas souhaité donner suite » se défausse la direction de l’Université.

Une Région qui fait la sourde oreille

La famille de Mathieu* apprendra la nouvelle de la fermeture de l’école de conducteurs de train un mois plus tard. Pendant ce temps, toujours déterminés, Mathieu* et sa mère se sont sentis bien obligés de contacter un élu de la Région. Le plus proche est le maire d’Abbeville et conseiller régional des Hauts-de-France,  Pascal Demarthe (ex PS / UDI).

 

Contacté le 30 septembre puis le 29 octobre, captures d’écran à l’appui, le conseiller régional et maire d’Abbeville, Pascal Demarthe confirme pourtant de son côté n’avoir pas eu connaissance de ce sujet. © Lille HDF

Contacté, le conseiller régional nous confirme pourtant « ne jamais avoir été saisi par courrier sur cette situation. Après avoir questionné mon cabinet en Mairie d’Abbeville, ce sujet ne m’a jamais été soumis et suis très étonné de votre affirmation« . Un message privé via les réseaux sociaux de Pascal Demarthe,  daté du 30 septembre, auquel nous avons eu accès, précise: « Je vais me renseigner et te tiendrai informée » . Un fait que nous lui avons soumis et auquel l’élu n’a plus donné suite. Egalement contacté à ce sujet, Franck Dhersin, vice président aux mobilités des Hauts-de-France, n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Je confirme ne jamais avoir été saisi par courrier sur cette situation.

Pascal Demarthe, conseiller régional dans la majorité HDF et maire (UDI) d’Abbeville au sujet de l’école de conducteurs de train fermée

Le partenariat passé entre l’Université de Picardie Jules Verne et la direction régionale de la SNCF Voyageurs a t-il été passé en toute discrétion, sans que la Région n’en soit informée ? C’est ce que suggère la réponse formulée par Pascal Demarthe, pourtant les faits et les témoignages exposés semblent esquisser une tout autre réalité. « Je commence à vraiment l’avoir sec » nous confie Constance*. « C’est tellement dur pour une mère de voir son garçon y croire et puis s’effondrer […] Il y a vraiment un problème de communication dans cette affaire, c’est vraiment ce que je leur reproche » .

Des revirements inopinés qui fragilisent les TER

Alors que la Région Hauts-de-France a officialisé ce 17 novembre, l’ouverture à la concurrence des lignes TER proches de Paris d’ici 2026, les gesticulations de la SNCF Voyageurs quant au recrutement de futurs conducteurs de train interpellent. Les Hauts-de-France, deuxième région ferroviaire du pays, voient la mobilité et les conditions de vie des habitants se dégrader. Une situation non sans conséquences dramatiques pour les usagers où la SNCF, la Région et l’Etat se renvoient dos à dos les responsabilités.

Xavier Bertrand avec d’autres responsables de région ont signé une tribune en octobre dernier demandant un grand plan d’investissement pour le ferroviaire. Une demande restée sans effet pour les usagers. © Amiénois-e.fr/DT

Des revirements et des changements inopinés avoués par la direction de la SNCF Voyageurs qui fait face à une pénurie de conducteurs de train causée par ses capacités et sa volonté de formation. Sous la pression de certaines régions, et notamment des Hauts-de-France, la compagnie ferroviaire a lancé cette année un appel d’offres pour sous-traiter une partie de ses formations. Sur les 1200 conducteurs ferroviaires formés cette année une cinquantaine devrait sortir de la formation DigiRail qui a remporté l’appel.

Autant d’expérimentations qui participent à l’affaissement d’un service public de transport face auquel la SNCF Voyageurs et la Région HDF apparaissent peu cohérentes et bien mal armées pour apporter des solutions concrètes.

Comme d’autres responsables de région, Xavier Bertrand (ex LR), président des Hauts-de-France, a signé un appel pour un grand plan de 100 milliards d’euros sur dix ans pour le ferroviaire. Mais cette fois, c’est au tour du gouvernement de faire la sourde oreille; l’appel est resté sans effets pour les usagers des trains de la région qui doivent faire face à plus d’une centaine de suppressions de trains par jour.

 

* les prénoms ont été modifiés