C’est à Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, qu’Emmanuel Macron a choisi d’établir « sa » cité du français. Bastion d’extrême-droite depuis 2014, la ville est surtout connue pour l’ordonnance qui a imposé le français, à la place du latin, dans les actes judiciaires et notariés. L’ordonnance promulguée en 1539 par François Ier, interdisait, entre autres, toute confrérie de gens de métier et toute entente et coalition ouvrière. Soutenant une vision nationaliste et faussée de l’histoire de la langue, le président de la République inaugurait le 30 octobre, un chantier de 211 millions d’euros, financé par l’Etat.

Emmanuel Macron, le 30 octobre, lors de l’inauguration de « sa » Cité de la langue française à Villers-Cotterêts.

La Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts aura eu au moins un bénéfice: rénover le Château Renaissance de ce bastion d’extrême-droite, frappé par le racisme et le chômage. Le maire RN, Franck Briffaut dont l’ouverture de la Cité importe peu, reconnait lui-même la lenteur de son action politique. Qu’importe. Emmanuel Macron a inauguré « sa » Cité du français avec un discours fustigeant l’écriture inclusive -dont il fait pourtant un certain usage- et présentant la langue française comme celle de la colonisation et de la décolonisation. Une posture et des confusions qui ont fait bondir les spécialistes toutes tendances confondues.

Français de cire, anglais de son

Quelques jours avant l’inauguration, l’académicien Jean-Marie Rouart reprochait au chef de l’Etat dans Le Figaro de figer la langue française: « La Cité internationale de la langue française inaugurée par Emmanuel Macron à Villers-Cotterêts est une initiative qui aurait pu être saluée si elle n’actait pas la muséification d’une langue que le président n’a fait que malmener » condamne l’écrivain pourtant hostile à l’écriture inclusive. « Il faut chercher loin dans l’histoire de France pour trouver un responsable politique qui aura autant nui à la langue française » poursuit-il. « Après avoir posé avec un sourire réjoui lors du ’One Planet Summit’ à Paris, tenant une pancarte ’Make our planet great again’, il nous a asséné un ’Choose France’ à Versailles et ’une start-up nation’  »

Une critique à laquelle Emmanuel Macron a répondu lors de l’inauguration, en rappelant ses préférences pour l’anglais: « Oui, il vaut mieux dire ’Choose France’ pour se faire comprendre des investisseurs étrangers. » 

La confusion d’un « Gaulois réfractaire »

Mais l’inauguration du président, dont le paradoxe est à la hauteur du coût de la réception – 540 000 euros–  ne semble pas s’embarrasser de bonne foi et de logique. S’adressant « aux françaises et aux français » mais condamnant l’écriture inclusive, l’usage d’un point ou « d’un tiret » (sic) et appelant à ne pas « céder aux airs du temps. »

Emmanuel Macron n’a pas hésité à caricaturer l’usage « d’un tiret » ou d’un point et même par extension de parenthèses dont l’existence et l’utilisation ne datent pas d’hier. En détournant des pratiques grammaticales comme contre-arguments politiques et électoralistes, dans le but, à peine voilé, de séduire une frange réactionnaire et extrémiste, les erreurs et contre-sens ne pouvaient que jalonner un discours empreint d’une très grande confusion.

Pire, en choisissant Villers-Cotterêts pour « sa » Cité internationale de la langue française, le Président poursuit une logique de muséification et d’appauvrissement de la langue. Emmanuel Macron vient totalement contredire la politique menée par l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) fondée en 1970 à Niamey, au Niger, et qui n’a eu de cesse d’être délégitimée par des discours duplices qui ne traitent guère tous les locuteurs de la langue française de la même façon. Prônant du côté de l’OIF l’importance du plurilinguisme, de la diversité culturelle, où on porte une attention particulière aux femmes, du côté présidentiel, on préfère figer la langue française comme une statue grecque prête à s’éclater au sol et où le masculin ferait le neutre.

Pourtant, de Bruxelles à Dakar, de Québec à Lausanne ou d’Abidjan à Kinshasa (plus grande agglomération francophone au monde devant Paris), la France n’a pas de droit de propriété sur sa langue officielle; la dépossession est le prix à payer pour qu’une langue de la colonisation devienne celle de la décolonisation. Mais plus que des mots, les actes, ici, sont nécessaires.

Dame Pascal-e

Mais l’inauguration de cette Cité de la langue, repoussée une première fois,  tombait bien fortuitement avec un vote au Sénat proposant l’interdiction de l’écriture inclusive. Et dans la France de Macron, ce ne sont ni les intellectuel-les, ni les linguistes, ni les spécialistes qui peuvent éclairer la langue et ses usages mais…d’anciens étudiants d’école de commerce ou des administratifs.

La sénatrice de l’Aisne et vice-présidente du Sénat, Pascale Gruny (LR), directrice administrative et financière de profession, a proposé une loi dont la tournure et la construction ne peuvent que faire sourire.

Persuadé de « protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive » le Senat a voté un texte de proposition de loi qui illustre avec justesse l’effondrement intellectuel des représentant-es politiques qui n’ont vraisemblablement pas ouvert un recueil de poèmes depuis l’école élémentaire.

Proposant que « l’usage de l’écriture dite inclusive […] (soit) interdit. » Mais, bien obligé de reconnaître son utilisation indispensable, le Sénat précise dans sa proposition que « des exceptions à l’usage du français peuvent être justifiées. »

Mais n’étant guère de fins spécialistes de la langue et oubliant qu’en matière d’expression littéraire c’est l’usage qui prévaut (l’usage qu’en font tou-tes les pratiquant-es); l’art et la manière de meubler son temps au Sénat ont de quoi laisser pantois les plus sages d’entre nous.

DT