Dans une mise en scène simple et épurée mais d’une rare force, la réalisatrice Claire Simon a filmé le tête à tête entre le dernier amant de Marguerite Duras et une journaliste de Marie-Claire.

« Vous ne désirez que moi » reprend le témoignage d’un homosexuel presque refoulé, mal dans sa peau et impressionné par la romancière qui n’a pas hésité à le dominer, à s’accaparer cette vie qu’on lui donnait sur un plateau à la fin de son existence. Le film, diffusé à la Maison de la Culture d’Amiens tout le mois de février, a remporté en 2021 le grand prix du jury du Festival International du Film d’Amiens.

Une œuvre saisissante de simplicité, mêlant images documentaires et de fiction et qui dresse en creux le portrait d’un amour destructeur et homophobe.

Emmanuelle Devos dans le rôle de Michèle Manceaux, journaliste pour Marie Claire et Swann Arlaud qui incarne Yann Andréa, le dernier amour de Marguerite Duras. Ces échanges feront l’objet d’un livre de la journaliste « Je voudrais parler de Duras ».

On se souvient de Marguerite Duras comme l’autrice de L’Amant, D’un Barrage contre le pacifique ou de La Vie matérielle, on se souvient surtout des films de Jean-Jacques Annaud qui portera L’Amant sur grand-écran ou bien d’Alain Resnais qui réalisera Hiroshima mon amour pour le cinéma. Ils finiront par ailleurs brouillés avec la romancière. Mais Marguerite Duras a résisté à l’épreuve du temps. Devenue un monstre sacré de la culture, elle a fait oublier la femme qu’elle était derrière le personnage. Un personnage loin de faire l’unanimité à son époque. L’humoriste, Pierre Desproges, s’en amusait volontiers et la décrivait comme la « papesse gâteuse des caniveaux bouchés » n’écrivant que des « feuilletons de cul à l’alcool de rose« . Pour l’humoriste, l’autrice n’a pas écrit que des conneries, « elle en a aussi filmé« .

« Je vais te dé-créer pour te re-créer »

Mais cette fois, il ne s’agit pas d’un film lunaire de Marguerite Duras mais d’un voyage aigre-doux entre les spectateurs et deux personnes dans l’intimité d’une chambre. Tout le film se joue là, dans la simplicité d’une conversation enregistrée au dictaphone où Yann Andréa se confie sur sa relation avec la romancière.

Yann Andréa, c’est le dernier amant de Duras. Il est tout jeune étudiant quand il tombe en extase sur les œuvres de la romancière qu’il a rencontrée lors de la projection d’un de ses films, en 1975. De cette rencontre est née une correspondance éparse qui poussera le jeune homme à tout quitter pour débarquer un jour chez Marguerite Duras.

Ils ont 38 ans d’écart, c’est déjà une vieille dame quand le jeune Yann Andréa s’installe chez elle.

Nous sommes en 1980 et à partir de cette date, ils ne se quitteront plus. L’un pris au piège dans un amour destructeur et fascinant, l’autre dans l’envie compulsive de tout maitriser, d’être toujours responsable de la moindre once de désir, de plaisir ou de souffrance. Un amour fait de domination et de soumission raconté avec une pudeur incarnée avec justesse par Swann Arlaud.

Yann Andréa raconte son amour ravageur pour Duras. Le film masque à peine le contexte. Dans les années 1980, Yann Andréa est un jeune homosexuel qui se déteste, rongé par la honte et la peur au beau milieu des années SIDA. Ce qu’il raconte n’est pas de l’amour mais un rapport de domination et de soumission parfois douloureux à attendre et à dire. Le témoignage que livre Yann Andréa face à Michèle Manceaux, incarnée par Emmanuelle Devos, est presque étouffé. Comme un cri qu’on voudrait pousser quand le souffle est coupé par un coup au ventre. Dès son arrivée chez elle, Duras n’hésitera pas à lui répéter sans cesse « je vais te dé-créer pour te recréer » . Dominé, fasciné, Yann Andréa va se convaincre qu’il y trouve son compte, si bien qui lui sera loyal jusqu’à sa mort.




« L’homosexualité c’est comme la mort » 

Le film de Claire Simon met en lumière un aspect souvent absent dans les portraits de Marguerite Duras mais qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Sa vision de l’amour où chaque genre est contraint et occupe une place bien définie -place qu’elle n’a peut-être par ailleurs jamais eue- rejoint le témoignage de Yann Andréa.

Le jeune homme lui inspirera La Maladie de la mort, œuvre qui a suscité une certaine incompréhension et un certain effroi dans les années 1980, années où le SIDA fait des ravages dans la communauté homosexuelle. Elle y raconte la relation d’un homme incapable d’aimer qui paye une femme pendant plusieurs jours pour se soumettre à ses désirs. Il tente de ressentir quelque chose pour celle-ci qui prend peu à peu le dessus sur lui jusqu’au jour où elle disparaît à jamais, atteinte de la maladie de la mort. Un livre quasi prémonitoire empreint d’une homophobie latente loin d’être étrangère à Marguerite Duras qui accusera à plusieurs reprises l’homosexualité de nuire à une certaine définition de l’altérité.

Le film de Claire Simon  ressuscite un témoignage tombé dans les oubliettes pendant près de 30 ans, celui de Yann Andréa face à Michèle Manceaux, interprétés par Swann Arlaud et Emmanuelle Devos. Les deux acteurs nous livrent ici une belle interprétation d’une face sombre de Marguerite Duras: un film intime et tout en nuances salvatrices.