Ce 8 mars, lors de la journée de lutte pour les droits des femmes, Brigitte Fouré, maire d’Amiens, a annoncé cinq femmes qui devraient donner leur nom prochainement aux rues de la ville.  L’annonce arrive à point nommé et fait échos aux remarques de certain.es élu.es d’opposition. Le groupe Amiens c’est l’tien a tenu à rappeler, à l’occasion de cette annonce, ses positions sur ce sujet:

Si le souhait du groupe d’opposition n’a pas été exaucé entièrement, Brigitte Fouré a bien pris acte du déséquilibre qu’il y avait entre dénominations masculines et féminines des rues de la ville. Détail pour certains qui participe pourtant à l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et la culture. Pour ce faire, la maire a choisi cinq noms de femmes et si le groupe d’opposition souhaitait une rue en hommage à l’avocate et figure du féminisme, Gisèle Halimi, décédée l’an dernier, l’édile a elle dressé une liste tout aussi symbolique.

 

L’Oise à l’honneur…

Dans les noms désignés par la maire d’Amiens, on retrouve, non sans plaisir, celui de Séraphine de Senlis née Séraphine Louis. On se souvient de ses toiles entre rêves et cauchemars bucoliques, de l’artiste taciturne qui a connu les deux guerres mondiales dans l’Oise. Elle a laissé derrière elle des œuvres picturales fortes de l’Art naif, courant et approche artistique de la fin du XIXe siècle tendant à faire abstraction des règles de la perspective ou du réalisme des couleurs.

On se souvient surtout du film franco belge de Martin Provost avec Yolande Moreau dans le rôle de Séraphine, représentation subtile d’une tranche de vie de l’artiste qui a connu le succès et la descente aux enfers suite à sa rencontre avec le collectionneur d’art allemand, Wilhelm Uhde. L’artiste finira par sombrer dans la folie et mourir presque anonyme, à l’indifférence générale.

Autre symbole du département de l’Oise et plus particulièrement cette fois-ci, de son histoire, Jeanne Hachette devrait également donner son nom à une rue d’Amiens. « Jeanne Laisné, dite Jeanne Fourquet au XVIᵉ siècle,  plus connue sous le surnom de Jeanne Hachette à compter du XVIIᵉ siècle, née à Beauvais hypothétiquement vers 1454 et décédée à une date inconnue, est une figure emblématique de la résistance beauvaisienne face à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne » explique la mairie dans son communiqué.

Mais celle qui doit son surnom à la petite hache dont elle se serait servie pour combattre, en 1472, Charles le Téméraire, à Beauvais  a t-elle  vraiment existé ? Les avis divergent mais la légende est bien présente. Son nom a été donné à des collèges, à des centres commerciaux ou culturels, mais Jeanne Hachette semble n’être plus qu’une image. Dans un article de 2008, Le Monde s’interrogeait sur l’existence de l’héroïne beauvaisienne: « Dans une récente biographie de Charles le Téméraire (1433-1477) due à Henri Dubois (Fayard, 2004), elle n’est pas mentionnée, fût-ce pour récuser son existence historique. Elle était pourtant, depuis des siècles, une héroïne. Jusqu’au cinéma, dans le film Le Miracle des loups, de Raymond Bernard, en 1924. Mais elle avait disparu dans la version tournée par André Hunebelle en 1961. A-t-elle donc vraiment existé ou est-elle seulement la figure mythique symbolisant la mobilisation des femmes et des jeunes filles de Beauvais face à l’agresseur ? Pour le biographe du Téméraire, la réponse semble certaine. Au moins aurait-il pu ne pas totalement effacer cette Jeanne-là, partir de sa légende, revivifiée au XXe siècle, quand, en 1920, Jeanne d’Arc est canonisée.

Pour la gauche anticléricale, Jeanne Hachette devient alors le pendant laïque de la Pucelle. »

Si son nom a l’avantage de regorger de mystères il a l’inconvénient de ne pas être fixe pour un nom de rue, il faudra choisir entre Jeanne Laisné, Fourquet ou Hachette. On rencontrera par ailleurs le même problème avec Séraphine de Senlis née Séraphine Louis. Le choix des noms mis en avant a néanmoins son importance pour que les raccourcis langagiers du quotidien ne transforment pas ces rues en avenue de Senlis ou place Hachette.

 

…et les conservatrices

Les trois dernières femmes qui devraient donner leur nom aux rues d’Amiens, ont un point commun. Thérèse Papillon (1886-1983) est une figure de la Résistance. « Infirmière, fondatrice et directrice du préventorium de l’abbaye de Valloires pendant plus de quarante ans. Elle a, par sa personnalité et son action, marqué durablement l’histoire de l’ancienne abbaye cistercienne » précise la municipalité. La romancière belge Alia Cardyn a fait de la vie de Thérèse Papillon un livre, publié en fin d’année 2020, aux éditions Robert Laffont. On y retrouve le combat de l’infirmière pour sauver les enfants de la tuberculose au début du XXe siècle. Thérèse Papillon est aussi la fondatrice de l’Association de l’abbaye de Valloires. L’association « administre un pôle d’accueil de l’enfance placés par les services sociaux du département ou l’Agence Régionale de la Santé, un réseaux d’aides et de soins infirmiers à domicile et un site historique et touristique ancestral. » Le choix de cette figure peu connue, n’est pas anodin dans le contexte de crise sanitaire y compris pour l’Association de l’abbaye de Valloires qui fête cette années sa 100e année d’existence.

Préventorium, association de l’abbaye de Valloires, Thérèse Papillon

Marie Jeanne Bertin dite Rose Bertin ou Mademoiselle Bertin (1747-1813) est quant à elle, une marchande de modes. « De conseillère vestimentaire à la cour de Louis XVI, elle devient une proche de la reine Marie-Antoinette à qui elle conseille notamment, quand celle-ci ne parvient pas à concevoir d’enfant, d’effectuer le pèlerinage de Notre-Dame de Monflières, petit hameau dépendant du village de Bellancourt, près de sa ville natale d’Abbeville » détaille la municipalité citant la fiche Wikipédia de Rose Bertin.

Pourtant si Rose Bertin a considérablement influencé la naissance de la haute couture, elle reste aussi un symbole pas si évident à porter. Une fiche de présentation du Château de Versailles explicite le parcours du personnage:  « A l’approche de la Révolution, alors que le peuple meurt de faim, de nombreux pamphlets dénoncent le « faiseur de luxe corrompu et corrupteur ». Dès les premiers jours de la Révolution, les modistes s’inspirent des événements pour confectionner de nouvelles créations, comme les jarretières « à la Mirabeau » ou encore les chapeaux « à la Desmoulins ». Réticente, Rose Bertin refuse de créer les robes « à l’égalité » ou les fichus « à la Constitution », et fournit seulement quelques cocardes. En revanche, elle continue à livrer des vêtements à Marie-Antoinette, de facture plus modeste, après la mise aux arrêts de la famille royale.

Les derniers habits portés par la reine lors de son transfert à la Conciergerie sont ainsi réalisés par « Le Grand Mogol », magasin parisien de Rose Bertin. Après l’exécution de Marie-Antoinette, Rose Bertin s’exile à Londres afin d’échapper à la Terreur, et ne revient en France qu’en février 1795. Mais la Révolution a balayé sa célébrité et bouleversé la mode. »

Moins étendue, la célébrité de Louise Lefrançois-Pillion, (1871-1959), historienne d’art, diplômée de l’Ecole du Louvre, spécialiste de la sculpture médiévale, historienne des cathédrales, reste l’apanage des féru-es d’histoire de l’art notamment religieux. Professeure d’histoire de l’art, Louise Lefrançois-Pillion a été membre honoraire de l’Académie des sciences, des lettres et des arts d’Amiens. Ses travaux de recherche se sont concentrés sur la sculpture  d’abord à Reims, puis sur les cathédrales, celle de Rouen et celle d’Amiens en 1937, c’est également l’autrice de L’esprit de la cathédrale et d’analyses et de croquis de Notre-Dame de Paris. Si l’historienne devrait donner son nom à une rue d’Amiens, la référence n’est pas due au hasard. Les 800 ans de la cathédrale qui se sont tenus fin 2020 dans des conditions exceptionnelles auront au moins laissé une trace, une rue à l’une de ses passionnées érudites.

 

Mais parmi tous ces personnages historiques aux trajectoires parfois fantasmées et symboliques, c’est une pluralité de parcours régionaux que la maire d’Amiens a souhaité mettre en valeur. L’intention est louable mais le choix de ces figures historiques n’a finalement rien de pluriel et témoigne davantage des penchants de celui ou celle qui les a choisies et sûrement bien moins des valeurs communément partagées par tous les habitant-es. La municipalité a le mérite de se pencher sur le problème peut-être au détriment de Gisèle Halimi qui n’aura pas son nom dans les rues d’Amiens pour l’instant. Les élues du groupe d’opposition communistes et citoyennes propose quant à elles d’autres noms comme Madeleine Riffaud, Martha Desrumaux ou Julia Lamps « figure importante pour l’histoire du Parti communiste samarien« , autant de noms qui n’ont pas séduit à ce jour la municipalité.