A Amiens, ce jeudi 9 décembre, lors du dernier conseil municipal de 2021, les élu-es ont acté la cession et la transformation de l’usine Gruson, dans le quartier St-Leu. Quartier festif et bien connu des touristes, Saint-Leu est le quartier étudiant par excellence. Une population que la majorité de centre-droit compte bien chasser du quartier avec un projet destiné à un public plus âgé et familial.

Le quartier Saint-Leu, à Amiens. A gauche les restaurants du quai Bélu, au dernier plan à droite, l’ancienne Usine Gruson cédée par la ville ce jeudi 9 décembre à deux entrepreneurs pour la création des « 1000 lieux ».

Accessoirement capitale de la jeunesse en 2020, Amiens est l’une des villes les plus jeunes de France, près de la moitié de la population a moins de 30 ans. Forte de son université et de ses écoles, la ville vit au rythme de ses étudiant-es qui au fil des générations ont fait du quartier Saint-Leu, un lieu de fête, de bouffe et de musique, un lieu de culture et de jeunesse coincé entre le fleuve de la Somme et le verdoyant parc Saint-Pierre; un quartier historique à bien des égards.

Mais si les bars, restaurants et discothèques sont en nombre, les habitations individuelles et collectives colorées et typiques du quartier ne sont pas en reste. Une cohabitation jugée parfois difficile par les riverains qui déplorent le manque de calme et des incivilités dans le quartier.

L’usine Gruson a été rachetée par la ville en 2019 pour 900 000 euros à la Région Hauts-de-France qui n’avait trouvé qu’un investisseur pour…des « Résidences séniors ».

Une poignée de riverains excédés par les nuisances

Dominique Théo, membre d’un collectif d’habitant-es et de familles rappelait lui aussi ce mardi les inquiétudes du quartier face à la reprise de l’ancien site Gruson pour la création du projet des « 1000 lieux », un tiers-lieu qui va générer des nuisances selon le collectif: « Les nuisances que ne manqueront pas de provoquer ce projet s’ajoutant à celles vécues quotidiennement;

Stationnement impossible, incivilités nocturnes permanentes liées à des consommations de boissons alcoolisées excessives, déchets répandus sur la chaussée et les trottoirs…. Tout cela devient intolérable. »

Un avis relayé par bon nombre d’élus d’opposition comme Renaud Deschamp (Amiens au coeur) qui reproche comme l’ont également souligné, à gauche , Julien Pradat (Amiens c’est l’tien) et à l’extrême droite Philippe Theveniaud « un manque de transparence » dans la désignation des projets. La cession du site Gruson aux deux entrepreneurs amiénois Vitto Wiotte, déjà gérant d’un restaurant et François Beauvisage a suscité de nombreuses interrogations et une certaine inquiétude et déception chez les riverains.

« Une cession scandaleuse » jugée opaque par l’opposition

Les différents projets proposés n’ont pas été communiqués aux élu-es d’opposition qui se sont faits les relais, ce jeudi, d’un besoin de transparence et de « démocratie apaisée » des habitant-es. Une demande balayée d’un revers de main par la maire, Brigitte Fouré, qui tient à conserver les projets et les entrepreneurs secrets: « Il avait été évoqué dans la commission urbanisme le problème de la communication des candidatures et, en effet, les services (juridiques NDLR) ont confirmé que ça n’était pas possible […] nous resterons fermes sur l’obligation qui nous est faite à ne pas divulguer l’information » a précisé Annie Verrier, adjointe au maire à l’Urbanisme, lors des débats au sujet de la cession de l’usine.

Le projet des « 1000 lieux » devrait abriter au bord de la Somme, boulevard du Cange, une brasserie, des espaces de ventes d’aliments (en circuit court) ou bien encore une base nautique et des espaces de co-working fermés avant minuit.

L’élu d’opposition, Julien Pradat, n’a pas hésité à dénoncer « une cession scandaleuse » et un choix fait « en toute opacité et sans aucune concertation. » Le conseiller municipal a demandé davantage de garantie sur le devenir de ce bâtiment industriel occupant une place importante dans l’histoire du quartier afin d’éviter d’abandonner la bâtisse aux rachats successifs et d’en perdre le contrôle. Une demande à laquelle la majorité, sous les traits d’Annie Verrier, a répondu que « la ville n’avait pas vocation à se constituer un patrimoine. »

Un projet pour « faire venir les familles »

Selon l’adjointe à l’urbanisme, le projet a été choisi car il est vecteur d’emplois et participera au rayonnement de la ville. C’est aussi une énième occasion pour la majorité de repousser la jeunesse du quartier, le nouveau complexe Gruson devrait permettre « un changement des mentalités […] et de faire venir des familles » a prédit l’élue qui n’a pas caché ses funestes intentions pour le quartier le plus animé de l’agglomération:

« Sortir d’un milieu étudiant assez présent ».

La déclaration a de quoi surprendre, la vitalité du quartier s’explique en partie par sa jeunesse, ses étudiant-es et citadin-es qui fréquentent les (rares) lieux de sorties nocturnes de la ville, alors presque tous concentrés dans le quartier. Une attaque de plus envers le milieu estudiantin alors que les priorités des amiénois-es et d’Amiens semblaient ailleurs. « A l’heure où notre ville pose sa candidature pour être capitale européenne de la culture, nous aurions pu espérer que soit proposé un aménagement ambitieux [….] qui associe culture et nature et non pas un lieu de boisson de plus à offrir à la jeunesse étudiante de notre ville » rappelle le collectif des habitants de Saint-Leu, bien conscient que l’avantage de la culture est qu’elle ne soit pas faite de silence mais d’un bouillonnement que tout le monde supporte, ensemble.