Ce jeudi, le conseil municipal amiénois a été marqué par l’intervention du Préfet de la Somme suite aux récents crimes qui ont frappé la région. Une intervention exceptionnelle à la demande de la maire d’Amiens suite au meurtre de Sofiane Ben Khelifa en avril dernier. Depuis, deux autres crimes dont un féminicide ont été commis.

Le Préfet de la Somme, Etienne Stoskopf, lors de son intervention exceptionnelle du 22 juin à l’Hôtel de ville d’Amiens suite aux récents drames.

Le Préfet de la Somme, Etienne Stoskopf a tenu à relativiser la situation, largement exploitée par des représentants politiques de tout bord, quant au nombre de crimes et de délits dans l’agglomération. « Des faits dramatiques et bouleversants » ces dernières semaines que le Préfet a mis en perspective en prônant « une approche globale » et en rappelant que les atteintes aux biens auraient baissé lors de ce premier semestre 2023 de 5,5% par rapport à l’année précédente.

Une baisse toutefois éclipsée par une augmentation de 7.8% des atteintes aux personnes qui mêlent contraventions, délits et crimes. Les menaces sur autrui auraient augmenté de 30% au premier semestre 2023 selon le Préfet ainsi que les coups et blessures volontaires de 5.5%. Les violences intrafamiliales seraient elles aussi en nette augmentation de 8,6%. Mais en réunissant les deux catégories, le nombre des atteintes aux biens et aux personnes se stabilise.

« Une approche globale » dont les seules réponses apportées par le représentant du ministère de l’Intérieur sont d’ordre répressif ou sécuritaire: vidéosurveillance, présence policière accrue dans l’espace public, nombre d’agents, coopération entre la Police Nationale et Municipale.

Soliloques sécuritaires

Dans l’opposition, Philippe Theveniaud (RN) et Renaud Deschamps (SE/DVD) sont au diapason. Si le premier fustige ceux qui dénoncent les violences policières en les faisant passer pour les responsables d’une défiance envers les agents de police sacrosaints garants de « l’ordre républicain« , le second se demande pourquoi le rôle de la Police Municipale est cantonné à celui d’une « plante verte« , allusion qui vaudra à Renaud Deschamps un énième recadrage de la maire, Brigitte Fouré (UDI), en début de séance ce jeudi.

Les deux conseillers municipaux, autrefois appartenant à la majorité de Brigitte Fouré, ont tenu à rappeler leur clairvoyance auto-proclamée face à l’insécurité sans-cesse rapportée auprès de l’édile: « Ce que je dis depuis des années » répètera Renaud Deschamps.

Mêlant simples dégradations, deals en tout genre, crachats, agressions physiques et crimes et donc des peines allant de la simple contravention à la prison à perpétuité; la plèbe en a eu pour son compte de gloubi-boulga politique habituel.

François Décavé et Evelyne Becker (Amiens c’est l’tien/LFI-Picardie debout-EELV) ) apporteront toutefois quelques nuances quant aux attaques tout juste dissimulées de l’élu du Rassemblement National envers la France Insoumise rappelant qu’une défiance de la population envers les forces de l’ordre était bien réelle. Si cette défiance de la population vis-à-vis de la Police est notamment causée par des violences commises par les agents eux-mêmes, le niveau de formation des agents de police et les critères de sélection lors du recrutement des agents n’ont guère été évoqués. C’est pourtant l’un des principaux facteurs de cette défiance populaire face aux forces de l’ordre.

Mais selon le Préfet de la Somme, à Amiens, la situation est tout autre. Confirmant des constations factuelles que nous avons pu faire dans Amiénois-e.fr lors des manifestations contre la réforme des retraites, Etienne Stoskopf n’en décèle néanmoins pas les mêmes causes et a rappelé que la violence des policiers était localement à relativiser:

« Je pense que le nombre de grenades tirées à Amiens pour refluer des personnes violentes doit se compter sur les doigts d’une main. »

Le Préfet de la Somme évoquant le sentiment d’insécurité et de violence à Amiens ce 22/06/23

Une violence policière minime par rapport à d’autres régions que l’on doit d’après la Préfecture à une bonne entente et une coordination efficiente avec les différents organisateurs syndicaux, politiques ou associatifs, des manifestations.

Penser aux victimes: réparer les vivants

De son côté Hélène Delattre (PCF) a rappelé la hausse des féminicides à Amiens énumérant sept prénoms de victimes déclarées entre 2020 et 2023. Assia Nouaour (Social-Eco Citoyen) est revenue sur la situation de la famille Ben Khelifa qui pleure encore la mort de Sofiane, tué par balles chez lui à Amiens Nord.

Toujours éparpillée dans les différents quartiers d’Amiens, la famille, dans l’impasse, attend d’être relogée suite au drame. Une situation bien connue du Préfet qui estime que « l’histoire n’est pas terminée » et mise désormais sur le parcours réglementaire de demande de Droit Au Logement Opposable (DALO) tout en précisant qu’une « solution de relogement avait été proposée […] mais ça n’a pas correspondu, ça n’a pas fonctionné, moi je le regrette » a t-il répondu.

Pascal Rifflart, élu dans la majorité, rejoignant un point soulevé par Evelyne Becker qui appelait à ne pas céder à la tentative sécuritaire qui se résumerait à une simple augmentation des agents de police, a soulevé d’autres causes potentielles quant à la hausse des atteintes aux personnes: un ascenseur social qui ne fonctionne pas dans certains quartiers et un sous-investissement de l’Etat en matière de prise en charge psychiatrique. « C’est l’élu mais aussi le médecin d’un quartier pas toujours facile d’Amiens qui parle » précise t-il d’emblée. Pour Pascal Rifflart, « la France a un retard important en matière psychiatrique comparée à l’Allemagne. » Dans de nombreux quartiers, la consommation de « drogues douces » est très forte et plongerait des familles entières dans des troubles mentaux selon l’élu, évoquant des cas de schizophrénie et autres pathologies mentales.

Si la tentative n’apporte guère le bon diagnostic, elle a le mérite d’apporter des solutions plus justes et globales. Cédant sans cesse à la prohibition des « drogues douces » qui plus est d’usage depuis un demi-siècle et n’apportant aucun résultat, pire à la stigmatisation et à la répression des usagers, alors que les professionnels de santé ne cessent de réclamer des moyens et des structures de prévention et d’encadrement afin de diminuer les risques inhérents à la consommation de drogues, le Préfet emboitera dans cette même direction énumérant les 277 contraventions dressées à Amiens contre les détenteurs de drogues.

« Les maux de notre société ne peuvent pas toujours s’expliquer en fonction de ce que fait ou ne fait pas la police. »

Hubert de Jenlis, adjoint à la sécurité d’Amiens

Hubert de Jenlis (Renaissance), adjoint à la sécurité d’Amiens, a rappelé toutefois que « la Police est trop souvent utilisée comme une variable d’ajustement » et que « les maux de notre société ne peuvent pas toujours s’expliquer en fonction de ce que fait ou pas la police. » Pour l’élu, « c’est une vision simpliste » et avant tout une « affaire de co-construction avec les forces de l’ordre, la justice, la Préfecture , les acteurs locaux comme les bailleurs sociaux » (plusieurs cas de vols ont été élucidés grâce à des caméras de vidéosurveillance de bailleurs sociaux NDLR). Un bilan, qui selon l’adjoint, est nettement meilleur à celui de 2014, où la gauche de Gilles Demailly n’avait guère augmenté les moyens et apporté des idées pour endiguer un sentiment d’insécurité. L’adjointe à la sécurité de l’époque (2008/2014) Emilie Thérouin (EELV), siégeant aujourd’hui dans l’opposition de gauche, est par ailleurs restée bien silencieuse ce jeudi soir.

Si certains se sont laissés aller lors de cet échange de plus d’une heure trente à un confusionnisme latent et une caricature trompeuse jouant la partition qui l’arrange et prêchant pour sa propre paroisse c’est sous la main presque experte d’une Brigitte Fouré en cheffe d’orchestre, de bonne volonté et prête à synthétiser toutes les idées des intervenants que le débat s’est tenu. Si certaines forces politiques de tout bord peinent pourtant à prendre un peu de hauteur sur le débat, elles semblent toujours prêtes à toutes les incartades pour surfer sur des faits dramatiques qui touchent tous les amiénois; échec et mat(e).

DT