A un mois du scrutin, Emmanuel Macron, bon prince, a enfin décidé de se jeter dans l’arène présidentielle ou presque. Dans une lettre publiée le 3 mars, le président sortant a annoncé officiellement sa candidature. Quelques jours plus tard le président-candidat annonce en marge d’une escale à Poissy (Yvelines) qu’il ne fera pas de débat avec les autres candidats avant le 1er tour. Le président sortant se dispensera donc de son devoir politique de discussion et de débat pourtant essentiel à la démocratie.

« Je ne me dérobe pas du débat. Plutôt que de faire des meetings où des gens vous applaudissent parce qu’ils sont déjà convaincus, je préfère le débat avec les Français, c’est ce que je leur dois » a expliqué Emmanuel Macron ce lundi 7 mars après avoir confié à LCI qu’il refuserait tout débat direct avec les autres candidat-es avant le 1er tour.

Pour expliquer son refus de débattre, le président sortant a précisé « qu’aucun président qui se représentait ne l’a fait », une affirmation exacte qui reste toutefois à nuancer.

En 2012 si Nicolas Sarkozy avait refusé par principe un débat avant le 1er tour, « Le débat, il a lieu pour les deux candidats que les Français auront choisi pour le 2e tour« , arguait-il à l’époque, le président sortant avait tout de même envoyé Nathalie Kosciuskot-Morizet, sa porte-parole, débattre avec 9 autres candidats ou représentants. Le 16 avril 2012 (6 jours avant le 1er tour), Jacques Cheminade, Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Eva Joly et Nicolas Dupont-Aignan étaient dans l’émission « Mots croisés ». A leurs côtés: Jean-Marc Ayrault, conseiller spécial de François Hollande; François Delapierre, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon; Nathalie Kosciuskot-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy; Marielle de Sarnez, directrice de campagne de François Bayrou; et Florian Philippot, directeur stratégique de la campagne Marine Le Pen.  

Dix ans avant, en 2002, Jacques Chirac avait refusé de participer, après le 1er tour, à un débat avec Jean-Marie Le Pen. C’était une première depuis 1974, date à laquelle le débat télévisé s’est progressivement installé dans la course présidentielle.

Mais en vingt ans, l’influence de la politique américaine, où le talk show est roi, a progressivement poussé tous les candidat-es à débattre avant le 1er tour. Ainsi en avril 2017, les 11 candidats à l’élection présidentielle débattaient ensemble.

Pour Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande, rien oblige le président à participer à un débat avant le 1er tour « Il n’y a pas d’obligation constitutionnelle ou légale de participer à ces débats« , précise t-il à France Info. Une précision glaçante qui n’étonne pas face aux dysfonctionnements démocratiques actuels; comment peut-on être candidat à une élection démocratique sans se soumettre à un exercice fondamental de la démocratie?

Beaucoup trop de choses à perdre pour le président sortant

En 2017, ces débats d’avant le 1er tour « témoignaient déjà, pour Gaspard Gantzer, d’une forme d’américanisation de la vie politique avec une plus grande place donnée au clash et à la confrontation et il y avait eu deux vainqueurs dans ces débats du premier tour. Tout d’abord, Emmanuel Macron qui avait montré qu’il avait la stature pour faire le job de président de la République et être capable d’affronter ses adversaires et puis aussi Jean-Luc Mélenchon, qui était assez bas dans les sondages au début de la séquence des débats et avait progressé jusqu’à près de 20%, grâce à ses bonnes performances à la télévision. « 

Piètre orateur face à Jean-Luc Melenchon ou Marine Le Pen, Emmanuel Macron ne participera pas à un débat avant le 1er tour; le président-candidat a plus à perdre qu’à y gagner.

Crédité à plus de 30% dans les derniers sondages, son apparition parmi les candidats lors d’un débat pourrait nuire à la réélection qu’il envisage. Face à des candidats rompus à l’exercice et aux programmes solidement argumentés, le programme d’Emmanuel Macron qui tient pour l’heure sur un post-it en trois déclarations sibyllines, l’une sur la suppression de la redevance télé,  une autre sur l’éducation et une petite dernière sur la création d’un chèque alimentaire n’a pas de quoi faire trembler Jean-Luc Mélenchon dont le programme, « L’Avenir en commun« , reste le plus lu et détaillé toutes tendances politiques confondues. Plus de 350 000 exemplaires avaient été vendus en 2017. En 2022, plus de 10 000 exemplaires ont été vendus en un seul weekend dans toute la France « un record de toutes ventes d’essais politiques en librairie » d’après l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon.

Des ventes et un intérêt des citoyen-nes à en faire pâlir les ministres macronistes qui tentent régulièrement de se confronter à la matière sans y parvenir. On se souvient évidemment des 64 exemplaires vendus par Marlène Schiappa , ministre de la Citoyenneté, désormais rentrée dans les annales.