Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a annoncé cette semaine la dissolution de Nantes Révoltée, un média citoyen engagé à l’extrême gauche. Une décision qui aurait été prise suite à des dégradations et violences lors d’une manifestation non-déclarée annoncée et encouragée par ce média de Loire-Atlantique, suivi sur Facebook par plus de 200 000 personnes. Loin, très loin du « groupuscule » dépeint par le ministre.

Le ministre de l’Intérieur a annoncé vouloir dissoudre le média citoyen et engagé, Nantes Révoltée. Le 21 janvier, le média, qui se présente comme indépendant, aurait encouragé à une manifestation non-déclarée « contre l’État, contre les policiers », ce que réfute le collectif qui précise avoir appelé à manifester « contre l’extrême droite » . Si certains remettent en question le collectif d’être un média, Nantes Révoltée a reçu de nombreux soutiens de journalistes de renom comme Mathieu Molard, rédacteur en chef de Street press.

De son côté, Gérald Darmanin avait fait valoir lors de son annonce que « depuis la loi El Khomri (loi Travail), ce groupement de fait répète sans cesse des appels à la violence et ce week-end contre l’Etat et les policiers ». Si l’acte de dissolution n’était pas si grave, cette précision du ministre pourrait être presque cocasse au regard de l’effondrement social depuis la promulgation de la loi Travail dont l’arrivée a été facilitée, dès 2015, par la loi Macron, alors ministre des Finances sous le gouvernement de Manuel Valls.



Pour les concernés, c’est une grave atteinte à la liberté d’expression afin de réduire un média opposé au gouvernement en place. Dans un communiqué daté du 26 janvier, les avocats de Nantes Révoltée précisent : « Contrairement à ce qui a pu être dit, Nantes Révoltée n’est ni un “groupe” ni un “groupuscule” ni même un “groupement de fait”, mais un média indépendant et engagé qui couvre les luttes sociales et environnementales à Nantes et dans le monde, suivi par près de 300 000 abonnés […] Si M. Darmanin entend procéder à la dissolution de ce média, à la demande de députés de sa majorité et LR, cela résulterait des suites d’une manifestation qui s’est déroulée à Nantes le 21 janvier. Mais il annonce aussi qu’il va travailler la question. Et en cherchant, il trouvera bien, ou pas. A ce jour, aucune procédure n’a encore été engagée, et Nantes révoltée n’a reçu aucun acte d’accusation et ignore ainsi tout des griefs qui lui seraient reprochés »

En réaction à l’annonce de dissolution du ministre, la CGT France 3 Pays de la Loire a très vite réagi estimant que cette dissolution était  une «menace pour la liberté de la presse» .

«Il est absurde de reprocher à un média les débordements qui peuvent être commis lors des manifestations annoncées dans ses pages. Ou alors, cela signifie-t-il que nous sommes comptables de toute action commise par ceux auxquels nous donnons voix ?»

Pour le préfet de Loire-Atlantique Didier Martin la dissolution est loin d’être aussi simple que présentée par Gérald Darmanin: « C’est bien gentil de nous rappeler que la procédure de dissolution d’un groupement de fait existe dans les textes, mais il n’a pas échappé à mes prédécesseurs ni à moi-même qu’elle n’a pas été activée à ce jour et que ce n’est pas aussi simple qu’on peut le penser. Par exemple, si Nantes Révoltée est considérée comme un média, on est confronté au respect de la loi sur la liberté de la presse.« 

Une situation qui ne serait pas arrivée depuis la Seconde Guerre mondiale d’après plusieurs historiens des médias: « Une dissolution d’un média, je n’ai pas de précédent ou d’équivalent en tête. Ou alors il faut remonter à l’interdiction de Je suis partout », un journal antisémite interdit en 1944 après la Libération, rapporte Christian Delporte interrogé par CheckNews. Pour les spécialistes de l’histoire du journalisme, tout l’enjeu reste ici de savoir si Nantes Révoltée peut se prévaloir des protections réservées aux titres de presse.

Une réponse qu’on peut trouver dans les nombreux soutiens de ce média d’opinion, citoyen et indépendant, qui n’hésite pas à relayer des points de vue et des avis aussi tranchants soient-ils. Ce samedi 29 janvier, dans un communiqué, la Ligue des Droits de l’Homme a réagi vivement à l’annonce du ministre et si tôt apporté son soutien au collectif nantais: « La multiplication de l’usage abusif de la dissolution administrative s’inscrit actuellement dans une volonté délibérée du pouvoir exécutif d’intimider et dans certains cas de réduire au silence les voix de contestation politique, bridant la liberté d’association et la liberté d’informer […] Si la liberté d’informer connaît des limites légales, l’intervention première du juge judiciaire, seul garant constitutionnel des libertés individuelles et d’indépendance, doit rester la voie privilégiée », ajoute la LDH, dénonçant une « étape inquiétante dans l’extension d’un outil politique de sanction collective attentatoire aux libertés fondamentales. » 


Photo Une : Nantes Révoltée, manifestation du 27 janvier à Nantes. © Oli Mouazan, Thomas StreetPhotos, Nicolas Mollé, NR