Depuis la qualification du Maroc en demi finale de la Coupe du monde de football au Qatar face à la France, l’amertume pour la compétition semble s’être dissipée chez certains. Pourtant le Qatar a causé la mort de 6500 ouvriers d’Inde, du Bangladesh, du Népal, du Pakistan, morts en esclaves pour avoir construit les infrastructures de cette Coupe du monde, l’équivalent d’une petite ville de province décimée, anéantie et sacrifiée sur l’autel de ces jeux populaires, politiques et morbides.

Du pain, des jeux et du sang; finalement rien n’a changé.

Latha Bollapally avec son fils Rajesh Goud, tient la photo de son mari qui a migré pour travailler au Qatar. Il en est mort. ©Kailash Nirmal/ The Guardian

Cette Coupe du monde est l’image même de notre déroute. La déroute d’un capitalisme qui exploite « la valeur marchande des joueurs » , qui achète la vie et vend la mort dans un pays où tout semble avoir été recréé avec démesure, avec imposture. Comment expliquer cette joie que l’on entend dans les rues, le soir de qualification de l’équipe française ou marocaine, la refuser, la moquer ne semble plus efficace. Les arguments des défenseurs de cette coupe morbide sont passés par là. « Il fallait réagir avant » ; « Place aux jeux » ; « Les joueurs ne sont pas là pour faire de la politique » . Autant d’inepties répétées par des « médias » et des groupes industriels qui ont tout à gagner en faisant oublier le déroulement de cette compétition sportive et politique qui bafoue les droits humains les plus élémentaires, qui réduit la vie en poussière d’étoile qui ornera le maillot des prochains vainqueurs.

Plus de 6500 morts en esclaves pour une étoile sur un t-shirt, quelques buts et quelques victoires. La mort des hommes face au spectacle, c’est finalement peu de chose. Les téléspectateurs sont comme des poissons dans un bocal, amnésiques à chaque passage de la balle, ils regardent la compétition presque avec passion et envie illustrant là notre incapacité à réagir face à ce monde qui transforme encore la vie en marchandise.

Le parcours de l’équipe du Maroc a bien arrangé ceux qui cherchaient à normaliser cette Coupe du monde. Voilà les démons de la colonisation qui ressurgissent, la joie des binationaux et de ceux qui soutiennent cette équipe qui se qualifie pour la première fois de son histoire. La victoire du Maroc pour certains effacerait presque tout et dans une prétention pleine d’orgueil serait presque justice pour ce pays qui n’a jamais remporté le trophée.

Oui, cette Coupe du monde est historique, c’est indéniable. Jamais nous ne serons allés si loin dans notre amnésie collective, jamais nous n’aurons autant réécrit l’Histoire et les faits à des fins économiques et politiques. La vie de l’humanité ne vaut rien face aux profits de quelques uns, regardés, adulés par des millions de personnes, loin de s’imaginer que leurs idoles méprisent et réfutent leur propre existence.

 

 

Photo Une A Dakar, sur l’ile de Gorée, statue symbolisant la libération de l’esclavage, par Jean et Christian Moisa, 2002